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          1er MAI : LA FÊTE DU TRAVAIL Une autre idée du travailleur

          1er MAI : LA FÊTE DU TRAVAIL

          Le 1er mai est un jour férié et l’occasion pour les organisations syndicales et les partis politiques de gauche de battre le pavé parisien au rythme des revendications salariales et des acquis sociaux. Journée de mémoire et de protestation.

          Selon Dédé, syndicaliste depuis toujours, Dieu est de droite. La preuve en est qu’à chaque manifestation, il y a un temps pourri. Peut-être ce 1er mai 2007 va-t-il confirmer sa théorie, malgré 3 semaines de soleil. Dans le cas contraire, la marche entre République et Nation, pour fêter, non le travail, mais le travailleur, serait l’expression d’une originale bienveillance divine, symptomatique d’une apostasie politique ou d’un retournement de veste énigmatique. Quoi qu’il en soit, rarement un événement aura si mal porté son nom. Voyons ce qu’il en est effectivement par un modèle du genre…

          Un cortège festif

          Rendez-vous place de la République. Une foule importante, mixte sexuellement, relativement hétérogène socialement. Des drapeaux à foison, des montgolfières marquées du sceau d’un syndicat spécifique, des lettres partout, CGT, SOLIDAIRES, FSU, etc. Plus haut sera le nom, plus loin il sera perçu. Derrière, des partis politiques tels que la LCR, LO, PC, et quelques groupes anarchistes comme la CNT. Les sourires, les sacs à dos, les bouteilles d’eau en plastique et les inévitables vendeurs de merguez. Beaucoup de bruit, des instruments de musique encore inconnus et des slogans… dans toutes les langues. Le rendez-vous est en général politique mais apparaît moins partisan qu’humaniste, pacifiste et fraternel. La bonne humeur et la détermination semblent s’imposer comme une évidence. Des enfants, des adultes, des anciens, des jeunes viennent gonfler un cortège plus ou moins consistant, en fonction des années. Tout le monde a gardé en mémoire le 1er mai 2002, l’entre-deux-tours des élections. Jamais la foule n’avait été aussi nombreuse, motivée et éveillée. Hier, une journée de bruits et de colère contre l’extrême droite. Aujourd’hui, un éveil contre les méfaits du libéralisme à venir. Alors, comment concilier les combats légitimes d’autrefois avec les revendications actuelles ?

          La mémoire qui préserve l’avenir

          Toujours place de la République. On pourra croiser, à 14h30, un grand père retraité, ancien ouvrier, comme il n’en existe plus, au goût de charbon, aux mains fermes et à la respiration poussiéreuse. Il expliquera à son petit-fils pourquoi il faut manifester le 1er mai. Il lui racontera le combat des ouvriers américains, au XIXe siècle, pour une réduction des journées de travail à 8 heures au lieu des insoutenables 10 ou 12 heures et la répression dans le sang à Chicago. Il lui dira aussi l’engagement similaire en France sous l’impulsion de la Seconde Internationale socialiste et des morts, encore, le 1er mai 1891 dans le Nord de la France à Fourmies marquant l’avènement définitif de ce jour pour tous les travailleurs européens. Un anarchiste répétera inlassablement, à quelques mètres d’eux, cette phrase, gravée sur une stèle du cimetière de Waldheim à Chicago, dernières paroles de l'un des ouvriers américains condamnés : “Le jour viendra où notre silence sera plus puissant que les voix que vous étranglez aujourd'hui.” En ce temps-là, les hiérarchies et les classes étaient clairement définies, décortiquées, depuis, par le matérialisme historique. Le prolétariat exploité, d’un côté, fraîchement conscient de son aliénation ; la bourgeoisie de l’autre, aisée et conservatrice. La mémoire est encore vive car les acquis sociaux, paradoxalement, sont toujours à préserver contre un adversaire qui mue et change de nom : réformateur zélé ou compagnon du libéralisme. En définitive, congés payés, droit de grève, réduction du temps de travail et de la pénibilité, autant de combats passés et à venir.

          Les tracts pour dire

          Mais les choses sont différentes aujourd’hui, heureusement. Les structures sociales se sont modifiées, la lutte des classes type révolution industrielle est devenue anachronique, les classes moyennes ont fait leur apparition et la démocratisation de la société est devenue plus palpable, plus effective. Alors pourquoi manifester ? Les tracts sont en général un bon indice du contenu et de ses significations. Ce jour-là, on en trouve généralement à foison sur le trottoir parisien. Un de la CGT nous assènera d’“exiger, agir et gagner” et précisera “salaires, emploi, retraite, paix” ; un autre de Sud appellera à une “journée de mobilisation des travailleurs et de solidarité internationale” ; FO à une “journée internationale de revendications et de solidarité”. Rares en tout cas, sont les syndicats qui appelleront ce 1er mai ‘Fête du travail’ à l’exception, curieusement, de la CFDT. Ce qui mettra dans une rage folle Elise, ravissante militante de Sud Culture, rappelant avec détermination à ceux qui l’auraient oublié que cette dénomination est une falsification vichyste, officiellement instaurée par René Belin, secrétaire d’état au travail dans le gouvernement du maréchal Pétain. Tout comme le muguet, d’ailleurs, qui a honteusement destitué l'églantine rouge, symbole de la gauche.

          Exalter le travailleur, non le travail

          Cette détermination permettra de comprendre l’enjeu réel de cette manifestation annuelle : le travail n’est plus considéré en soi comme une valeur émancipatrice. Sans une éthique et une réflexion préalables, il perd inévitablement son aspect vertueux pour “constituer la meilleure des polices”, comme le disait Nietzsche ou s’inscrire dans l’ordre traditionnel d’une domination illégitime. Ainsi, le 1er mai n’est ni la sacralisation du travail ni une apologie de l’ambition individualiste. Bien au contraire, comme le rappellent les tracts, c’est une journée de solidarité et de revendications collectives. Le travailleur n’est plus l’ouvrier d’antan, mais l’expression même de la condition humaine, l’objectivation des espoirs et des injustices, le fait de l’altruisme et de l’exploitation persistante. Ainsi, marcher ce 1er mai sera l’occasion de fêter l’universalité de l’homme, le refus de son avilissement et la préservation des acquis sociaux. Ce sera affirmer la primauté des exigences éthiques et humanistes sur toutes décisions politiques et économiques. D’ailleurs en Amérique du Nord, la Fête du travail (1er lundi de septembre) se distingue clairement de la Fête des travailleurs.

          Internationalisme et solidarité

          Les termes sont restés figés, semblables au langage marxiste. Mais le sens a évolué. Par internationalisme comprendre, aujourd’hui : la réappropriation de la mondialisation par les populations, les travailleurs. La mondialisation n’est pas seulement une ouverture planétaire et illimitée des échanges commerciaux et de la concurrence. Ce n’est pas exclusivement la globalisation du marché et une manne financière. C’est aussi une approche nouvelle de l’altérité que le socialisme a appréhendée depuis longtemps sous une formule du type : “Tous des travailleurs”. D’ailleurs le 1er mai est fêté dans de nombreux continents avec plus ou moins de nuances, en Allemagne, en Amérique latine, aux Etats-Unis, en Australie... Les revendications seront également extranationales avec une solidarité affichée pour les peuples victimes de la répression, de la guerre ou de la violence politique. Un cortège pacifiste et solidaire, en quelques sortes, qui n’aura ni frontière ni drapeau.

          La manifestation version 2007

          Malheureusement, le réel est moins idyllique. Comme souvent, l’intersyndicale ne se réalisera pas, FO faisant son cortège à part et la CFDT, refusant le mot d’ordre considéré comme trop radical (qui risque de froisser le prochain gouvernement) et politisé, boudera le cortège parisien. En effet, le contexte particulier de l’élection présidentielle aura probablement tendance a exacerbé les passions et les clivages. L’appel des partis politiques reste également très discret, mais ne doutons pas que la gauche rassemblera, contre celui qui apparaît à leurs yeux comme le représentant du libéralisme, de la flexibilité, de l’injustice sociale et de la discrimination républicaine : le président de l’UMP. Malgré tout, les revendications restent concrètes et la désunion factuelle des syndicats n’empêchera pas l’harmonie des causes à défendre : droit au logement, préservation des emplois, protection du travailleur, lutte contre le chômage et les délocalisations. Au-delà des divergences sur la méthode et des contextes singuliers, le 1er mai restera donc l’occasion de rappeler les paradigmes immuables, humanistes et philanthropes qui devraient régir, selon les manifestants, toute initiative économique et tout projet politique. Une autre idée du monde.

          Le même jour, à 10 heures du matin, Jean-Marie Le Pen ira glorifier une Jeanne d’arc contrariée et une France de “la terre et des morts”. Une marche plus bruyante, moins festive. Une autre idée de l’Hexagone. Une autre idée des rapports entre les hommes. Pour ne pas désespérer et se résigner à un pessimisme de circonstance, autant applaudir, que l’on soit salarié ou patron, la marche des travailleurs qui, loin de se cloisonner dans un militantisme radicale et improductif, exprime dans l’absolu une volonté désintéressée de partage laïc et de prospérité pour tous, transcendant les idéologies et les courants politiques. La Fête des travailleurs ou l’autre nom de la fraternité.

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