Accueil FigaroscopeCélèbre › HOMMAGE A HUMPHREY BOGART (1899-1957)

          HOMMAGE A HUMPHREY BOGART (1899-1957) Bogie Bogie !

          HOMMAGE A HUMPHREY BOGART (1899-1957)

          “Rude à l’extérieur, tendre à l’intérieur !” C’est en ces termes que les studios Warner vantaient les qualités de leur étoile Humphrey Bogart, alias Bogie, figure emblématique du cinéma américain, disparu il y a tout juste 50 ans.

          Du berceau à Broadway

          La naissance même de Bogart porte les prémices du mythe. Selon les biographes officiels, il serait né le jour de Noël de l’année 1899 et non le 23 janvier de cette même année. Signe du destin ou intox publicitaire de la Warner ? Toujours est-il que Bogart a pris soin d’entretenir le rêve tout au long de sa vie en organisant, à chaque veillée de Noël, des soirées d’anniversaire somptueuses et raffinées. Une enfance aisée et confortable dans le quartier chic de l’Upper West Side de New York. Des études de médecine à la Trinity School et à la Philips Academy d’Andover – Massachusetts, d’où il est très vite renvoyé, accompagné de ces mots du directeur : “Je peux seulement espérer que ceci s’avérera un tournant dans sa vie…” S’ensuit un tout aussi bref séjour sous les drapeaux dans la Navy d’où il reviendra décoré d’une blessure à la lèvre, à l’origine de sa célèbre cicatrice. Une blessure salvatrice, puisque, démobilisé, il découvre enfin les trépidations de Broadway et de ses théâtres. Premières planches, premières répliques, premiers succès avant d’arpenter les collines hollywoodiennes pour la première fois en 1930, sous contrat avec la Twentieth Century Fox puis avec les frères Warner.

          Le vilain de la Warner

          A travers ses premiers rôles, Bogart se sent vite mal à l’aise lorsqu’il doit interpréter un rôle qu’il ne peut fonder sur un aspect de sa personnalité. Comprendre le travail de Bogart, c’est d’abord mesurer toute la complexité de sa personne. A l’instar de l’obscur Duke Mantee, le tueur en cavale dans la pièce de Robert E. Sherwood ‘La Forêt pétrifiée’. Sherwood le décrit comme un homme “bien bâti, mais avec des épaules tombantes, son visage est sombre et pensif. Il a environ 35 ans.” De son côté, Bogart traverse une mauvaise passe. Une carrière en perte de vitesse, une famille détruite après le décès de son père, un deuxième mariage réduit à une amitié. Bogart comme Mantee est un homme au bout du rouleau. Il extrait pourtant de cette désolation une interprétation saisissante de réalisme, en s’identifiant plus au désespoir de son personnage qu’à sa cruauté. Et le public ne s’y trompe pas : généreusement applaudi, le bandit mal rasé fait un triomphe. Mieux encore, ce rôle lui permet de franchir franchement le pont qui sépare les planches des studios. Rachetée par les frères Warner, ‘La Forêt pétrifiée’ est portée à l’écran. Fort de son expérience du théâtre et de toute l’imagerie du film de gangsters dont il dispose, Bogie offre une nouvelle apparition saisissante aux côtés de son partenaire et ami Leslie Howard.

          Ce premier succès acquis, les studios Warner ne se lasseront pas de proposer à Bogart toute une série de seconds rôles de gangsters rudes et ténébreux, à tel point qu’il devient une figure récurrente du genre. L’âpreté de son caractère et son manque de souplesse écrasent toutes ses aspirations. Il incarne des personnages immoraux, toujours dans l’ombre des “méchants” officiels de la Warner. Les James Cagney, Edward G. Robinson et autres George Raft.
          Mais pour Humphrey Bogart, les traits sont souvent poussés à l’extrême. Pour toutes les communications autour de son mauvais garçon, les frères Warner prennent soin de le présenter envers et contre tout comme un personnage antipathique, inspirant la crainte et le vice. Bogie se désespère alors de pouvoir un jour étendre son registre.

          Après cinq ans d’errance artistique, Bogart parvient enfin à se réaliser avec le film ‘La Grande Evasion’ (1941) de Raul Walsh. Humphrey Bogart y incarne le personnage plus authentique de Roy “Mad Dog” Earle, un évadé de prison, avec lequel il présente, une fois encore, de nombreuses affinités : il n’est plus tout jeune et, surtout, a perdu ses illusions. Dans un registre plus humain et plus sentimental, Bogart insuffle une nouvelle vie au film de gangsters agonisant. ‘La Grande Evasion’ lui donne l’occasion de se dépêtrer des marasmes d’une personnalité qui peine à se révéler. Avec ce film, un “nouveau” personnage bogartien prend forme, plus dense et plus sensible.

          Quand le truand retrouve le droit chemin

          Selon le journaliste Alistair Cooke, d’aucuns ”ne voyaient en [Bogart] qu’un ivrogne mal luné, un pilier de bar amateur de plaisanteries cruelles et même sadiques, un cynique que sa paranoïa poussait à d’odieuses agressions verbales à l’endroit de quiconque qui sentait la pompe ou l’autorité (…). D’autres (…) le décrivaient comme gentil, généreux, modeste, plein d’un humour affectueux ou triste, aimable avec les inconnus, sensible et plein de prévenance pour les invités abandonnés dans leur coin.” La vérité se situe quelque part entre ces deux pôles, à l’image des contradictions que portaient en eux les différents personnages que Bogart a incarnés à l’écran. Le visage sombre, le regard froid, l’allure désenchantée et nonchalante, le verbe cynique. Un esprit habité d’une révolte permanente, sauvage et imprévisible, sans cesse tourmenté par ses obsessions romantiques.

          Les studios savaient que Bogart ne pouvait être un perpétuel gangster, dû à son statut en perpétuelle évolution. Il lui fallait préserver son image de “tough guy”, tout en lui conférant des vertus telles que l’honneur et le courage. Des qualités héroïques auxquelles le public pourrait se raccrocher. Les studios entreprennent alors de remodeler son image. La traduction cinématographique la plus évidente de cette transformation est sans aucun doute le personnage de Sam Spade dans ‘Le Faucon maltais’ (1941). Bogart virevolte avec aisance entre les émotions de son personnage et se joue avec délectation de sa profonde ambiguïté morale. La bande-annonce du film interroge le spectateur, “Qui est cet homme ?”, feignant de présenter Bogart pour la première fois. Un héros d’un nouveau genre que le public n’a jamais vu : souriant, séducteur, loyal, incorruptible et solitaire. Le justicier se substitue au criminel. Une image que Bogart est chargé de vendre lui-même lors des conférences de presse. Son moi quotidien et les personnalités qu’il porte à l’écran se confondent alors encore un peu plus et participent pleinement à l’édification du monument que Bogart s’apprête à devenir.

          L’année suivante, au coeur du légendaire ‘Casablanca’ de Michael Curtiz, Bogart parfait son personnage en y intégrant une dimension romantique. Il incarne avec une miraculeuse justesse Rick Blaine, un Américain en exil au passé mystérieux. Face à lui, une éblouissante Ingrid Bergman (IIlsa Lund). Toujours sombrement cynique et désenchanté, en proie à une douleur et une lassitude inextricables, le personnage de Bogie laisse enfin apparaître ses faiblesses dans une enivrante mélancolie. Mêlant romantisme, satire et politique, ‘Casablanca’ fait de Bogart un mythe, jonglant entre les registres, du film d’aventure au mélo, en passant par le film noir et le film de propagande. Selon les mots de Umberto Eco, «‘Casablanca’ est devenu un film culte parce que ce n’est pas un film. C’est le cinéma.” C’est ce même romantisme enfoui dans un visage impassible que l’on retrouve dans ‘Le Port de l’angoisse’ de Howard Hawks quelques années plus tard. Bogie y rencontre pour la première fois la jeune et envoûtante Lauren Bacall. Elle a 19 ans. Il en a 45. Leur union, quatre mois après la sortie du film, constitue l’illustration ultime de l’intrication encouragée par Bogart entre ses incarnations à l’écran et sa vie intime. ‘Le Grand Sommeil’ du même réalisateur les unira à nouveau pour une nouvelle variation sur le thème du héros romantique.

          La consécration

          Dans ‘Le Trésor de la Sierra Madre’ (1947) de John Huston, le personnage de Bogart se trouve dépourvu de ces qualités enviables qu’il avait passé des années à construire. Pour la Warner, il s’agissait de présenter le long métrage comme une oeuvre de prestige. Bogart n’y est ni romantique, ni héroïque, mais apparaît comme un acteur accompli au faîte de son talent, jouant dans un film majeur. Avec ce film impitoyable et pessimiste, la critique sociale en toile de fond, Humphrey Bogart boucle la boucle. Dans la peau de Fred C. Dobbs, Bogie renoue avec l’un de ces stéréotypes du voyou sombre et corrompu. Avec lui resurgissent les ombres de Duke Mantee et de Roy Earle. Mais, cette fois, Bogart est acclamé en tant qu’acteur.

          Porté tant par ses rôles de petit gangster que par ses prestations d’acteur consacré enfin récompensées par un Oscar dans ‘La Reine africaine’ (1951), Humphrey Bogart a su peu à peu faire sa place au panthéon du cinéma classique hollywoodien pour finalement s’y percher sur la plus haute marche. Une expérience exceptionnelle portée par une énergie et une intelligence rares a fait de lui une personnalité qui va bien au-delà du cinéma. Epaulé par la franchise et l’impétuosité de son épouse Lauren Bacall, Bogie est parvenu à se forger une solide carapace d’arrogance et de désinvolture dans le seul but de protéger son excessive sensibilité. A Sam Spade de le résumer dans une célèbre réplique du ‘Faucon maltais’ : “Je suis moins pourri que je le fais croire. Cette réputation est utile.”

          Vos avis
          Votre note :
           
           
          Et aussi en vidéo :