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          HOMMAGE A BERNARD RAPP (1945-2006) Gentleman Reporter

          HOMMAGE A BERNARD RAPP (1945-2006)

          Une mèche crantée, des allures de dandy spirituel et cultivé... 1983 : Bernard Rapp présente, tous les soirs, le JT du bon vieux Antenne 2. Puis vint le temps de 'L'Assiette anglaise' et autres mets culturels. Les livres et le cinéma, ensuite, comme autant de petites bouchées sucrées.

          "Très bon, précis, simple, clair et séduisant." C'est en ces termes que Pierre Lescure, ancien directeur de l'information sur Antenne 2, évoque le journaliste et cinéaste Bernard Rapp dont on apprenait, jeudi 17 août 2006, la disparition des suites d'une longue maladie. "Un vrai journaliste" ajoute Bernard Pivot. "Un bon camarade. Tout à fait exquis, très gentleman (…), rigoureux dans le travail, doté d'un sens de l'humour utile", surenchérit Christine Ockrent. Si les éloges funèbres sont toujours, comme leur nom l'indique, élogieux, jamais ils n'ont paru si sincères que ceux adressés à l'ami, collègue et confrère qu'était Bernard Rapp.

          20 heures pétantes

          Il aurait pu être musicien et jouer de la trompette à tout-va, mais dévoré par son envie "d'aller voir le monde", c'est tout naturellement que Bernard Rapp se tourne, son diplôme de l'Institut français de presse en poche, vers le journalisme. D'abord, pigiste au journal de gauche Combat puis au Monde, il est très vite magnétisé par la télé qui se laisse séduire sans trop de difficultés. Le 1er juillet 1976, le service public lui confie le poste de grand reporter, puis celui de correspondant à Londres entre 1981 et 1983, pour finir par l'ériger en prêtre de la grand-messe d'Antenne 2. C'est d'ailleurs Pierre Lescure qui traverse la Manche pour débaucher le dandy londonien tandis que miss Thatcher dirige le royaume de sa main de fer. L'ancien directeur de la télévision succombe au charme "so british" du plus anglophile des journalistes français : "Il fallait remplacer PPDA (…). J'ai été séduit par le bonhomme. (…) Sa sobriété et son ironie douce étaient un bonheur" (Le Parisien, vendredi 18 août).

          Et c'est un succès. Jusqu'en 1987, Rapp présente le JT. Nul ne sait ce qui a le plus contribué à sa réussite. Mais son charisme, ses qualités d'écriture et son sens de la mesure permettent à Antenne 2, plusieurs années durant, de battre TF1 dans la grande course à l'audimat sur le sacro-saint créneau horaire 20h-20h30. Comble de la popularité gentleman reporter, il tombe la cravate un certain 18 mai 1986, déclenchant une avalanche de courriers. Le plus détendu des journalistes du petit écran lancera à ce sujet un banal : "Je n'étais tout de même pas en caleçon !"

          Bouillons de culture

          En 1987, Bernard Rapp quitte le journal télévisé pour mettre le cap sur la culture. L'ancien grand reporter innove et surprend avec des émissions telles que 'L'Assiette anglaise'. Une recette savoureusement douce-amère et délicieusement efficace : tous les samedis soirs, il s'invite au Saint James Club de paris. Chroniques culturelles dans une ambiance décontractée sans amabilité forcée. Le public se délecte. Epris de littérature, féru de Conrad dont il avoue qu'il a tenu une place fondamentale dans le dessin de son existence, Bernard Rapp met le petit écran à la page : 'Caractères', 'Jamais sans mon livre', 'Rapp'tout', 'Héros vinaigrette', 'Tranche de cake'… et l'imposant 'Un siècle d'écrivain' qui dresse avec 257 documentaires un panorama des écrivains du XXe siècle. Autant d'émissions pour affirmer et réaffirmer le poids des mots. Et si face à la caméra, Bernard Rapp parle littérature et culture, en coulisses, il se consacre à l'écriture de quelques ouvrages bien sentis : 'Itinéraire Angleterre, pays de Galle, Ecosse', 'Quality objets d'en face' (inventaire d'objets mythiques de l'Empire britannique) et surtout 'Dictionnaire Larousse des films', régulièrement réédité.

          Quand la télé dé/Rapp

          La télé et Rapp : une grande histoire d'amour avec des hauts et des bas. Le retour de Bernard Pivot avec 'Bouillon de culture' signe l'arrêt progressif de 'Caractères', 'Rapp'tout' s'arrête après 6 numéros… Mais surtout, une histoire d'amour dont la fidélité rime avec lucidité. Rapp sans jamais tourner totalement le dos à sa maîtresse, la voit déraper. Il assiste peiné à l'avènement de la téléréalité, déclarant à propos du Loft : "On n'a pas le droit de se moquer des rêves des autres, d'exploiter leur crédulité." Il confie avec pragmatisme, dans une interview donnée au Figaro : "La télé n'est plus la télé. C'est devenu du marketing ! Si des types comme Sérillon ou moi-même pouvons produire ce que nous produisons, c'est que nous avons quelques dizaines d'années de maison…" Pour toutes ces raisons mais surtout parce que son envie de faire la fiction devient intenable, il décline la proposition de Jean-Pierre Cottet (ex-directeur général de France 3) de se voir confier la direction des programmes de France 3.

          De l'autre côté du miroir…

          Crise de la cinquantaine ? Amour immuable pour le 7e art ? Scepticisme face au devenir du petit écran ? En 1995, Rapp passe au cinéma. "Glisse" plus exactement puisque lui-même affirmait croire en "la perméabilité des mondes" et ne voyait aucune impossibilité de mêler les mots et les images. "Homme double", comme le définit Bernard Pivot, l'ancien présentateur du JT écrit le scénario de 'Tiré à part' en 1997 et réalise en 2000 'Une affaire de goût' qui reçoit le grand prix du Festival de Cognac et dont les critiques saluent unanimement l'élégance, le style dépouillé, la subtilité froide et l'adaptation sobre du roman dont il est tiré… Suivent 'Pas si grave' en 2002 et le léger et malin 'Petit jeu sans conséquence' qui devrait être prochainement adapté aux Etats-Unis par le réalisateur italien Gabriele Muccino. Rapp est venu au cinéma avec son don pour l'écriture et son regard sur les autres et le monde : Il laisse donc derrière lui des dialogues fins et pétillants, des instants filmés avec fraîcheur, des personnages haut en couleur tous imaginés avec l'envie d'évoquer la complexité et la beauté des relations humaines, du rapport ambigu qui unit la vérité au mensonge, de la prise de conscience de soi et des autres…

          Rapp, l'honnête homme

          "Je vais utiliser une expression qu'on n'utilise plus beaucoup aujourd'hui : c'était un honnête homme" concluait Pierre Lescure. Un honnête homme aux manières exquises et raffinées, à la mise élégante qui cultivait l'art de la conversation et celui de conter des histoires. "Intellectuel tolérant", comme le définit Jean-Pierre Cottet, peu sensible à la célébrité, Bernard Rapp savait laisser la parole à ses interlocuteurs en soulignant la justesse ou l'à-propos d'une formule. Ouvert, altruiste, il dévoilait un visage détendu et souriant sous lequel se cachait un sens de l'humour subtil et vertueux. "Ironique mais pas sarcastique" dixit Pivot. Dans les salons de cet honnête homme-là, on causait monde, culture, cinéma et livres aussi. Les livres dont il s'exclamait avec ferveur : "Ce sont des êtres vivants, envahisseurs, c'est affreux !" Alors sans excès et avec élégance, comme le voudrait l'idéal classique, nous saluons sobrement et sans artifice "ce vrai journaliste".

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