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          DOSSIER DARWIN Visionnaire

          Observatoire prolifique de la nature, les Galápagos jouent un rôle déterminant dans l'existence de Charles Darwin. Inconsciemment, un petit oiseau va semer les graines de la théorie évolutive des espèces dans le cerveau du scientifique.

          Si l'archipel doit son nom aux tortues géantes qui y vivent - "galápagos" signifiant "selle de cheval" en catalan, en rapport à la forme bombée de leur carapace -, c'est pourtant un petit volatile d'à peine plus de 20 centimètres qui restera dans les mémoires. Le 15 septembre 1835, après presque quatre années de voyage, le HMS Beagle - signifiant ''le Fouineur'', hommage au chien de chasse du même nom - jette l'ancre aux îles Galápagos à 1.000 kilomètres au large de l'Equateur. Formées d'un chapelet d'îles, jamais reliées ni au continent, ni entre elles, les Galápagos présentent des végétations et des espèces animales totalement différentes à quelques kilomètres les unes des autres. Cette riche biodiversité va naturellement séduire Charles Darwin, qui léguera d'ailleurs son nom à une île de 1,1 km2 au nord de l'archipel. Aujourd'hui, l'actualité rattrape l'hommage au naturaliste avec l'éruption du volcan La Cumbre sur San Fernandina qui menace une faune et une flore singulières, mises à jour par le jeune scientifique, il y a tout juste 174 ans.

          Biodiversité foisonnante

          (c) DRCarte des îles Galápagos, (c) DRContrairement à l'imaginaire luxuriant et coloré qu'on leur confère, les espèces vivant aux Galápagos ne présentent pas ou peu de couleurs variées, propres à d'autres zones intertropicales. Un peu déçu, Charles Darwin décrit consciencieusement dans son carnet de route : ''A l'exception d'un roitelet qui a une belle poitrine jaune et d'un gobe-mouche qui a une huppe écarlate et la poitrine de la même couleur, aucun (…) oiseau ne porte les couleurs brillantes'', écrit-il, avant d'ajouter quelques lignes plus loin : ''Toutes les plantes ont un aspect misérable (…). Les insectes de leur côté, sont petits, ont des couleurs sombres.'' Il en conclut dès lors que les couleurs chatoyantes, ordinairement propres aux espèces équatoriales, ne proviennent "ni de la chaleur, ni de la lumière particulière à ces zones". La cause probable ? Peut-être des conditions d'existence ''plus généralement favorables à la vie''. Cette biodiversité singulière et prolifique intrigue dès lors le jeune scientifique qui s'intéresse tout particulièrement aux pinsons ou encore à certains gros lézards. En les étudiant, il tente ainsi de définir leurs origines, première pierre d'un grand édifice scientifique.

          Le petit oiseau va sortir…

          Comment un simple volatile, à l'allure de moineau, peut-il être à l'origine de la conception du transformisme ? Cette conclusion, Darwin va peu à peu l'adopter, suite à ses méticuleuses observations. Outre les échassiers, goélands, colombes, gobes-mouches ou encore hiboux, ce sont les fameux ''pinsons'' - geospizes - de l'archipel qui donnent au naturaliste toute la matière nécessaire à l'élaboration de sa théorie. Ou plus particulièrement leurs becs, divergents suivant leurs modes d'alimentation. "On pourrait réellement se figurer qu'en vertu d'une pauvreté originelle d'oiseaux dans cet archipel, une seule espèce s'est modifiée pour atteindre des buts différents", note-t-il alors. (1) En fait, en 1837, John Gould les départagera en treize espèces, réparties en quatre sous-groupes : Cactornis (2 espèces), Camarhynchus (2 espèces), Certhidea (1 espèce) et enfin Geospiza (8 espèces). Darwin comprendra dès lors que ces différences qu'il prenait pour des variations, étaient en réalité des espèces bien distinctes. Cette observation lui permettra de montrer que la formation d'espèces, ou spéciation, reste la conséquence d'une adaptation insulaire, issue d'une souche unique. Quelque cent ans plus tard, en 1935, l'appellation ''pinsons de Darwin'' voit le jour, marquant l'évolution et la popularisation de la pensée darwinienne.

          Tortues vs iguanes

          HMS Beagle, (c) Institut Charles DarwinMaquette du, HMS Beagle, (c) Institut Charles DarwinMais le naturaliste ne se contente pas d'admirer les volatiles. D'autres espèces l'intriguent. En simulant la mort à la vue d'un humain, tête et pattes cachées sous leur carapace, les tortues terrestres géantes - Testudo elephantopus - amusent Charles Darwin qui grimpe sur leur dos. Il remarque leur facilité à se déplacer sur de grandes distances et leur capacité à trouver des points d'eau, les renommant Testudo nigra. (2) Malgré quelques notes dans son 'Voyage d'un naturaliste autour du monde', il cesse rapidement toute observation à leur sujet, pourtant prévenu de la divergence de caractères entre des tortues de deux îles distinctes. Il confie d'ailleurs : ''Malheureusement je négligeai trop cette affirmation dans le principe et je mélangeai les collections provenant de deux des îles.'' Confession qui ne l'empêchera pas, pendant le voyage du retour, de manger les trente tortues capturées sur l'île Chatham, et de jeter leurs précieuses carapaces par-dessus bord.
          Pour lors, il s'intéresse bien davantage aux lézards découverts sur l'île, et plus précisément aux iguanes marins - Amblyrhynchus cristatus - et terrestres - Amblyrhynchus demarlii -, frappé par leur ressemblance. Il remarque en fait que les iguanes marins restent irrésistiblement attirés par la terre, n'évoluant dans l'eau que le temps strictement nécessaire à la récolte de leur nourriture. S'il les poursuit, ces iguanes préfèrent rester sur terre et se faire capturer, plutôt que de se réfugier dans la mer ; s'il les jette dans l'eau, ils remontent rapidement sur les rochers. Immédiatement, Charles Darwin conclut en l'existence d'un ancêtre terrestre commun, expliquant ce tropisme vers la terre des iguanes marins.

          De la rigueur avant toute chose…

          ...Il en faut pour être naturaliste. Et pourtant, Charles Darwin s'est par deux fois mordu les doigts de retour en Angleterre. Car s'il regrette d'avoir délaissé les tortues, il répète ses erreurs avec les pinsons, trop occupé sur place à étudier la géologie de l'archipel volcanique. Il se contente de ne capturer que quelques oiseaux, laissant cette mission à son assistant. Mais surtout, il ne trie pas les spécimens attrapés et ne note ni leurs lieux de collecte, ni leurs régimes alimentaires, pourtant essentiels dans l'explication de la variation de leurs becs. (3) Il regrettera bien sûr ces erreurs de jeunesse, qui expliquent pourquoi il n'aura pas sur place tous les éléments pour élaborer sa thèse. Malgré ces quelques étourderies - Charles n'est alors qu'un jeune homme passionné par l'étude de la nature - l'escale sur ce territoire marque irréversiblement un tournant dans la pensée du naturaliste.

          Le 20 octobre 1835, le Beagle largue les amarres pour d'autres horizons, après plus d'un mois d'études sur le terrain. Malheureusement, les trois mâts du navire ont depuis cédé la place aux bateaux de plaisance des touristes. Trop nombreux, ils menacent l'écosystème de l'archipel. ''L'introduction d'une nouvelle bête de proie dans un pays doit causer des désastres terribles avant que les instincts des habitants indigènes ne soient adaptés à la ruse ou à la force de l'étranger'', écrivait Darwin dans son carnet de bord. En illustre bien le désastre écologique et le massacre de milliers de tortues géantes, en 1793, lors de la venue du Britannique James Colnett, suggérant l'archipel comme base des baleiniers du Pacifique. Aujourd'hui encore, l'homme reste un terrible prédateur. Depuis juin 2007, le Comité du patrimoine mondial de l'Unesco a d'ailleurs inscrit les îles Galápagos sur la liste du patrimoine mondial en péril. Pionnier de l'écologie, Charles Darwin serait bien triste de connaître l'évolution de cette terre volcanique si chère à sa mémoire.

          (1) Charles Darwin, 'Voyage d'un naturaliste autour du monde', éditions La Découverte.
          (2) Patrick Tort,
          'Darwin et la science de l'évolution', p.53, éditions Découvertes Gallimard, 2000.
          (3) Marc Giraud,
          'Darwin, c'est tout bête ! Mille et une histoires d'animaux pour comprendre l'évolution', p.95, éditions Robert Laffont, 2009.

          Sophie Lebeuf pour Evene.fr - Avril 2009

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