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          JO de Londres : Usain Bolt, la ruée vers l'or

          JO de Londres : Usain Bolt, la ruée vers l'or

          Sorti en DVD et blu-ray le documentaire « Usain Bolt, l'homme le plus rapide du monde » raconte le chemin parcouru par le sprinter jamaïquain pour s'imposer sur les pistes. Pour Evene, Gaël Leiblang, son réalisateur, revient sur sa rencontre avec le désormais double médaillé d'or olympique à Pékin et Londres sur 100m, 200m et 4x100m.

          Triple médaillé d’or aux Jeux olympiques de Pékin, Usain Bolt a la fougue et le mental hors-norme de ces grands sportifs que l’on a du mal à suivre. Cette fois encore, à Londres, ses adversaires Blake et Gatlin n'ont rien pu faire. Gaël Leiblang a accompagné pendant six mois le champion, de sa victoire à Berlin en 2009 à son faux-départ éliminatoire en Corée du Sud deux ans plus tard. Entre l’Europe et la Jamaïque, entraînements et soirées entre potes, confidences face caméra et moments de doute, le réalisateur a côtoyé le génie des pistes et son entourage jusqu’à en devenir un familier. Pour Evene, il détaille le déroulement de son documentaire, Usain Bolt, l’Homme le plus rapide du monde, diffusé lors de la soirée pré-inaugurale des JO de Londres et disponible aujourd'hui en dvd et blu-ray.

          Racontez-nous votre première rencontre avec Usain Bolt ?

          © Laurent LangloisUsain Bolt et Gaël Leiblang en Jamaïque, © Laurent LangloisJe l’ai rencontré en 2008 aux Jeux olympiques de Pékin. Je suis alors avec sa mère et sa fiancée au moment où il remporte l’or au 100 mètres. Je monte dans la nuit un sujet centré sur sa mère diffusé le lendemain à la télé. Le lendemain, je recroise Bolt et lui montre le film, qui trouve ça génial et me demande un dvd. C’est la petite graine du début d’une histoire. Les jours qui ont suivi, à chaque fois qu’il me voyait avec une caméra, il faisait un petit show, il avait toujours un mot sympa. Quand six mois plus tard, je vais à Kingston pour faire un sujet sur Bolt sans avoir son autorisation, il me reconnaît une fois dans le stade, je lui dis que j’ai besoin de l’interviewer, il me répond simplement : « passe à la maison. » 

          Quand avez-vous eu l’idée de réaliser un documentaire sur lui ?

          C’est seulement quelques mois plus tard, avant les championnats du monde de Berlin, que je me dis qu’il est temps de penser aux prochains JO. Je contacte Puma (son sponsor, ndlr) en leur disant que je veux lui consacrer un film. Là, on me répond : « tu t’y prends drôlement tard, on a déjà reçu beaucoup de projets, mais tente ta chance ». On a tenté, avec deux atouts : premièrement, le fait que je connaisse déjà Usain et ensuite, que notre projet était estampillé « french touch ». Nous étions deux et non une équipe de dix comme les Américains. 

          Usain semble très protégé par sa famille et son entourage professionnel. Comment avez-vous surmonté cet obstacle ?

          J’étais déjà en contact avec le manager personnel d’Usain et son agent. C’était un peu plus dur avec son coach, c’est un taiseux qui n’aime pas les caméras. Il part d’un principe assez simple : gagnons les médailles d’abord, on aura les médias après. Pour lui, j’étais un peu une distraction, il sait que son champion a un peu tendance à s’éparpiller. Il a parfois demandé au manager qu’on soit moins présents ou plus discrets. Mais cela ne nous a pas gênés : on a tourné trois semaines en Jamaïque, trois fois sept jours. Quand on procède de manière assez courte et répétée, on saoule moins les gens. 

          Ricky, son agent, par ailleurs le seul blanc de la team Bolt, semble tout vouloir contrôler. N’a-t-il pas cherché à orienter le propos du film ?

          Non, en tout cas, il n’a pas réussi, puisqu’il n’aime pas le film. Il trouve que le résultat n’est pas assez glamour, que Bolt n’est pas suffisamment mis en valeur et que d’autres auraient fait sans doute bien mieux que nous. Bien qu’il nous ait aidés, ce n’est pas le film qu’il aurait aimé voir. 

          Justement, qu’a pensé Usain du film ?

          Il s’est marré à toutes ses blagues ! Il a beaucoup aimé la séquence du 100 m à Berlin. Usain est très conscient de l’image qu’il a. C’est son agent qui d’une image A, veut faire une image B. On a tourné 60 jours avec Bolt, on a eu le temps d’avoir du recul sur nos images. On a eu une liberté totale, on ne nous a jamais demandé de couper quoi que ce soit. Je prenais ma caméra et la reposais quand je voulais. 

          Usain Bolt a ce côté immature des génies un peu précoce, il a parfois ses humeurs et se comporte un peu comme un enfant…

          © Gaël Leiblang© Gaël LeiblangUsain Bolt n’a pas d’âge. Il est capable de faire des blagues comme un ado de 18 ans, avec c’est vrai ce côté un peu immature mais jamais vanneur, toujours dans un bon esprit. Il n’est ni négatif, ni cynique. Il a un humour très joyeux. À côté de ça, il est capable de donner de vraies leçons de vie. C’est aussi en ça qu’il n’a pas d’âge. Il lui arrive de parler comme un vieux sage. Quand il dit, devant ses copains en jouant au football : « je n’ai pas envie, à 50 ans, d’avoir la sensation d’avoir perdu ma jeunesse », pour moi, c’est quelque chose de très fort. Usain vit les choses au présent. C’est quelqu’un qui se connaît très bien et quand il zappe un entraînement, c’est parce qu’il sait qu’il a besoin de dormir deux heures de plus. Et son coach sait très bien qu’il faut lui lâcher la grappe aussi bien pour des obligations médiatiques que physiques. Il y a un type qui disait souvent « let Usain be Usain », et si demain quelqu’un lui demande de ne plus faire le show avant de courir, il fera de mauvaises performances, parce qu’il a besoin de ça. C’est sa bulle. 

          Pourquoi n’avoir privilégié que quelques interviews de la famille ?

          Usain Bolt a plusieurs visages et je voulais que chaque personnage vienne les éclairer. Chacun a un avis lié à son propre rôle : l’entraîneur va parler des aspects physiologiques, la mère comme une maman qui aime son fils plus que tout, le père entre sévérité et fierté. Placer ces témoins au second plan m’a permis, une fois arrivé à la fin du film, dans les 30 dernières minutes, de me concentrer à nouveau sur Daegu, avec cette fois une bonne connaissance du personnage. Quand on voit la mère qui s’écroule à la fin, c’est une femme qu’on connaît déjà. C’est là aussi la force du film. 

          Y-a-t-il eu une séquence émotionnellement difficile à tourner ? 

          Oui, le faux-départ. De voir sa mère tomber, alors que je l’ai filmée trois ans avant dans une joie totale, cela a été émotionnellement dur. Pendant des mois, on suit un bonhomme et malgré le recul, on a quand même envie qu’il gagne. Mais après cette scène, nous avons vécu un moment assez magique : on le retrouve dans son appartement, et là, il se livre complètement, la tête en arrière, allongé sur un divan. À ce moment-là, je respectais déjà beaucoup le personnage. Mais il y a combien de champions qui, quand ils perdent, vous ouvrent leur porte ? Personne ne le fait ! Il faut être d’une grande sagesse pour accepter une caméra. Il sait pourtant ce que je viens faire à ce moment-là. C’est aussi dans la défaite que tu vois le vrai visage des gens.

          Quelles ont été les principales contraintes lors du tournage ?

          © Gaël Leiblang© Gaël LeiblangLe temps, principalement. Nous n’allions pas souvent en Jamaïque, il fallait faire vite. Mais cela a été un mal pour bien. Nous étions obligés d’être encore plus exigeants avec nous-mêmes. On se mettait une grosse pression : ne rien rater sans gêner Bolt. Après, il y avait aussi des contraintes humaines. Si on avait eu un assistant en plus, cela nous aurait un peu facilité le boulot ! Quand Usain dit : « J’ai fini l’entraînement, je me casse », il faut qu’à ce moment-là tout le matériel soit déjà rangé. Nous étions sans arrêt à la fois dans une grande souplesse et dans l’anticipation. Notre règle d’or était : « on n’emmerde pas Usain, on ne reste pas dans ses pattes. » 

          Le film débute et se termine par cette défaite, c’est une séquence charnière dans la narration…

          Longtemps, dans la construction du film, je me suis demandé ce que j’allais raconter sur ce type très sympa et qui gagne tout le temps, partout où il court ! Au lendemain du faux-départ, je me suis dit que le film était complètement transformé ! Une nouvelle angoisse est née à cet instant : raconter l’histoire autrement. 

          Quelles ont été vos influences ?

          Dans l’écriture, je me suis inspiré de mes précédents films, où je partais caméra à l’épaule. Je ne fais pas parti de ces documentaristes qui vont faire des heures et des heures d’interview, je préfère capter une parole, un geste, une attitude. Quand j’avais réalisé le film sur Michel Platini (Le Libre joueur, diffusé sur France 5 pour la collection Empreintes, ndlr), j’étais assez sensible au fait que le passé se mêle au présent pour construire l’avenir. J’avais envie de construire Bolt comme ça. On l’a suivi pendant des mois de manière très live, mais c’est toujours lié au passé. Chaque victoire du passé rappelle un fait présent. Tous les grands docs de sport, les films de William Klein, Les Yeux dans les Bleus, etc. auraient pu m’influencer mais j’ai fermé les portes au fur et à mesure et à force de fermer les portes, tu créés ta propre vision. Au final, on a un film hybride, tourné comme un reportage mais monté comme une fiction. 

          Récemment, un collectif de documentaristes sportifs s’est plaint, via une tribune dans le quotidien Libération, de la dépréciation du genre à la télé et mettent en cause la frilosité des chaînes quant à la diffusion de ce genre de programme. Qu’en pensez-vous ?

          C’est vrai que les diffuseurs sont frileux, parce qu’ils partent d’un principe simple : l’événement est plus fort que tous les docs, c’est certain. Il n’y aura jamais de place pour un documentaire sportif par semaine à la télé. C’est moins dans la culture des diffuseurs : le sport, ça sent la sueur. Ou alors, ils ne veulent que des grands champions, il n’y a pas de juste milieu. J’ai eu la chance de rencontrer un producteur qui adore le sport (Emmanuel Chain, ndlr), et pour l’anecdote, ce n’est même pas le service des documentaires de France Télévisions qui nous a acheté le film, mais le service des sports. Ce qu’ils disent est vrai mais ça ne tient pas qu’aux chaînes. Cela tient, pour moi, essentiellement au problème de l’argent dans le sport et à celui des accès dans les compétitions. Nous n’y avons plus accès pour pouvoir exercer notre travail de documentariste. Aujourd’hui, on est accrédités. Pour Londres, par exemple, je serai accrédité « France Télévisions », organisme détenteur des droits des JO, au même titre que la NBC ou la BBC. J’aurai accès à un certain nombre de zones, qui sont d’ores et déjà balisées. Formidable pour traiter le news et faire un travail de journaliste. Ce système n’est absolument pas fait pour faire du documentaire, pour prendre le pouls et établir un contrechamp fort et un point de vue affirmé. Le film sur Bolt tient aussi là-dessus, sur ces petits moments d’intimité, comme quand je rentre dans sa chambre. Aux JO, jamais je ne pourrai pénétrer dans sa chambre !

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