Accueil FigaroscopeCélèbre › LES BIDONVILLES

          LES BIDONVILLES Un monde de taudis

          LES BIDONVILLES

          L'absence de toilettes tue

          Si le bidonville est par certains aspects moins infernal qu'on ne l'imagine, il demeure un lieu de vie extrêmement précaire. Certes, la solidarité collective se révèle forte pour ces habitants qui se considèrent comme une communauté. Néanmoins, les tensions sont exacerbées du fait du manque d'espace et des conditions de vie difficiles. Peu de lumière à cause d'habitations trop rapprochées, pas de ramassage des ordures : les habitants jettent leurs détritus devant la porte du voisin ou balancent leurs excréments empaquetés sur le toit d'à côté. A Mumbai, la moitié de la population de la ville n'a pas de toilettes, alors, comme l'explique Prahlad Kakkar, réalisateur d'un documentaire sur le sujet : "Ils chient dehors. Ca fait 5 millions de personnes. Si elles chient un demi-kilo chacune, ça vous fait 2 millions et demi de kilos de merde tous les matins." (8) Le propos peut sembler trivial mais pose en réalité l'un des principaux problèmes des bidonvilles. En effet, les maladies générées par l'absence de latrines et de mauvaises conditions sanitaires sont la première cause de mortalité au monde. 1/5 des citadins en Amérique latine, plus d'1/3 en Asie du Sud et la moitié en Afrique subsaharienne ne disposent pas de système d'évacuation des eaux usées. (9) Inhalée, la poussière fécale engendre typhoïde et hépatites. Les égouts à ciel ouvert, l'eau contaminée sont infestés de toutes sortes de vers intestinaux. Diarrhée, gastro-entérite, colite, typhoïde tuent chaque année des dizaines de millions de personnes. Et même s'ils en ont parfois les moyens, aucuns travaux ne sont entrepris par les habitants pour améliorer le système sanitaire puisqu'ils risquent d'être expulsés du jour au lendemain.

          Bidon contre appartement

          Que fait l'Etat pour améliorer la situation de cette population grandissante ? Comme le souligne la politologue Camille Goirand, la politique engagée par les pouvoirs publics vis-à-vis des bidonvilles dépend grandement de la représentation qu'ils ont de ses habitants. Jusque dans les années 1990, ils étaient considérés comme des parasites à éliminer et dont il fallait se protéger. (10) Au Sénégal, on les nommait même officiellement "obstacles humains" durant la décennie 1970. (11) Désormais, plutôt que de rejeter les favelados, les Etats tentent généralement de les intégrer à la société, notamment en les relogeant dans de nouveaux immeubles avant de raser leurs taudis. Le plan paraît d'une pertinence implacable mais dans les faits, tout est plus compliqué. 1/3 des bidonvilles de la planète se situent en effet au coeur des villes. Pour leurs habitants, être relogé signifie s'exiler en périphérie et perdre jusqu'à 50% de leurs revenus du fait du coût et du temps de transport entre leur nouveau domicile et leur emploi. En outre, être relogé signifie un changement total de mode de vie. Dans un bidonville, on vit chez soi, mais aussi dans la rue, sur les toits. Pour que la réhabilitation fonctionne, il est essentiel que les habitants soient impliqués dans le projet du début à la fin, afin qu'ils comprennent l'intérêt de ce changement (si intérêt il y a). Or, ce volet d'accompagnement est souvent négligé, au point de mettre en péril des projets pourtant solides. Au Maroc, des habitants des bidonvilles ont ainsi lapidé la délégation conduite par le ministre chargé de l'urbanisme lors de l'inauguration d'un de ces projets de réhabilitation. Les logements qu'on leur proposait au tiers du prix du marché étant selon eux trop petits et trop chers. Résultat : des appartements flambants neufs et vides à côté de bidonvilles remplis. (12)

          Le rocher de Sisyphe ?

          Quand bien même les gouvernements réussiraient à transférer tous les habitants des bidonvilles dans des immeubles, les problèmes ne seraient pas pour autant réglés. Il suffit de regarder du côté de la France pour s'en convaincre. En effet, après guerre, une personne sur deux était considérée comme mal logée ou sans abri. Rien qu'aux portes de Paris, on comptait 89 bidonvilles en 1965. Le droit à un logement décent fut l'un des grands combats de l'époque. L'Etat entreprit alors de reloger les habitants des bidonvilles dans des immeubles flambant neufs construits juste à côté de leurs anciens taudis. 30 ans plus tard, ces immeubles se sont transformés en cités dont la réussite en termes d'intégration semble tout relative. Pour Norman Davies : "Bien loin des villes de lumières imaginées par les urbanistes, le monde urbain du XXIe siècle ressemblera de plus en plus à celui du XIXe, avec ses quartiers sordides dépeints par Dickens, Zola ou Gorki." (13)

          Une conclusion déprimante ? Pas pour certains touristes. Morgane, Australienne de 23 ans, vient de finir une visite des quartiers défavorisés de Jakarta : "D'habitude, les étrangers ne voient que les centres commerciaux et les hôtels, mais moi j'ai l'occasion de découvrir la vraie vie des pauvres." (14) Morgane peut se réjouir. Avec les quelque 200.000 bidonvilles de la planète qui continuent de s'étendre, elle a de quoi passer de chouettes vacances chez les miséreux.

          (8) Suketu Mehta, 'Bombay, Maximum City' , Buchet Chastel, 2006.
          (9) Rapport mondial sur le développement humain - 2006.
          (10) Camille Goirand,
          'La Politique des favelas', éditions Karthala, 2000.
          (11) Mike Davies, op. cit.
          (12) Fadoua Ghannam,
          'Les Défaillances du plan Villes sans Bidonvilles' in Yabiladi.com, 8 mai 2007.
          (13) Mike Davis, op. cit.
          (14) 'La pauvreté, ça peut rapporter gros',
          Courrier international, n° 974.

          Vos avis
          Votre note :
           
           
          Et aussi en vidéo :