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          FIGRA 15 ans d'engagement

          FIGRA

          Il est au reportage ce que Cannes est au cinéma. Peut-être moins glamour mais clairement plus engagé. A l'heure où les communiqués de presse élyséens régissent l'actualité, le Festival international du grand reportage d'actualité et du documentaire de société propose de s'arrêter pour réfléchir et découvrir le monde. Zoom sur la quinzième édition de ce festival citoyen.

          Le documentaire mis à mal

          L'image n'interdit pas la réflexion. Le paysage télévisuel français semble pourtant témoigner du contraire. Pollués par des thématiques et montages racoleurs lorsqu'ils sont diffusés à des heures d'écoute décentes, les reportages et documentaires sont le plus souvent exclus des grilles de programmation. Au mieux, on les retrouve à 15h ou en seconde partie de soirée, des moments où la plupart des gens travaillent ou optent pour un repos bien mérité (sommeil ou émissions de divertissement). La "loi Le Lay" semble la plus forte : la vente de "temps de cerveau humain disponible" s'accommode mieux de téléréalité que de documentaires.

          Certes, les docu-fictions rencontrent un certain succès. 'L'Odyssée de l'espèce' a même réuni 8,7 millions de téléspectateurs lors de sa diffusion sur France Télévisions en 2003. Mais comme leur nom l'indique, ces émissions s'apparentent autant au genre de 'Un oeil sur la planète' qu'à celui de 'Louis la Brocante'. Elles trouvent même plutôt leur place du côté des 'Louis la Brocante' et consorts. Des acteurs, une scénarisation conséquente, la prédilection pour les thématiques liées au passé ou à l'avenir : le docu-fiction se distingue clairement du véritable documentaire, nécessairement ancré dans le présent. Cette tendance au divertissant pour traiter de thèmes sérieux se retrouve jusque dans l'information pure. Il faut des sujets rapides, coup-de-poing, sexy. Il faut des papiers vendeurs et être les premiers à les sortir. Un flux d'informations non hiérarchisées nous abreuve en continu avec Internet et les chaînes type LCI, i>Télé, BFM TV. C'est le credo à la mode : l'immédiateté comme vecteur de réflexion.

          Chant du cygne ou nouveau départ ?

          Mais peut-il réellement y avoir réflexion dans l'immédiateté ? Comme l'explique le sociologue Pierre Bourdieu : "La pensée est, par définition, subversive : elle doit commencer par démonter les "idées reçues" et elle doit ensuite démontrer […]. Ce déploiement de la pensée pensante est intrinsèquement lié au temps." Sauf exception (effort du service public, chaîne thématique), l'exercice est forcément absent du petit écran. Le documentaire ne se meurt pas pour autant et découvre un second souffle inattendu au cinéma. 'Une vérité qui dérange', 'Bowling for Columbine' ou 'L'Avocat de la terreur' ont ainsi connu de francs succès dans les salles obscures et ont accumulé les récompenses. Le Figra participe à ce renouveau. Sortir de l'immédiateté pour redonner toute sa place à la pensée. Offrir d'autres visages, d'autres régions, d'autres angles que ceux préférés par la télévision. Depuis quinze ans, le festival propose au public de prendre le temps d'approfondir des sujets. Il récompense les meilleurs reportages ou documentaires et projette sur grand écran la crème de ce qui s'est tourné l'année précédente. L'édition 2008 du festival propose 87 films sur des thématiques et régions variées. Une seule exigence : le témoignage de la réalité.

          Des fenêtres sur le monde

          Parmi les films en compétition, 'Entrada de emergencia', 'Migration amoureuse' ou 'Les Martyrs du golfe d'Aden' s'intéressent à l'immigration sous différentes formes. Des Africains abandonnés dans le Sahara par les autorités marocaines, un couple québéco-belge confronté aux procédures d'immigration canadiennes, la traversée de Somaliens et d'Ethiopiens pour rejoindre le Yémen… Un choix d'approches variées que le Figra réitère lorsqu'il aborde les conflits internationaux. 'Le Mur de fer' s'intéresse ainsi à l'antagonisme israélo-palestinien, 'Travail dans l'ombre' à la guerre civile en Côte d'Ivoire. L'évolution des pays en développement n'est pas exclue du festival avec 'Mumbai : le rêve de la démesure' ou 'De Casa au paradis'. 'Le Système Poutine' et 'Hasta cuando ?' traitent quant à eux de régimes personnalistes, tandis qu'un pan économique est traité avec 'Silence dans la vallée', 'La Guerre de la banquise' ou 'Novartis contre l'Inde'. La compétition du Figra s'enrichit aussi de sujets plus inclassables comme 'Femmes sans domicile' d'Eric Guéret, 'Les Enfants de la baleine' de Frédéric Tonolli ou 'Felix Kersten : le médecin du diable' d'Emmanuel Amara. Ce dernier documentaire apporte un éclairage intéressant sur le masseur-thérapeute d'Himmler qui échangea ses soins, indispensables au chef des SS, contre la grâce de 60.000 juifs.

          De nombreux autres documentaires sont présentés hors compétition. La catégorie 'Autrement vu' offre avec treize films un regard décalé sur le monde. 'Nord-sud.com' braque ainsi la caméra sur de jeunes Camerounaises à la recherche de leur âme soeur (et riche) sur Internet. L'édition 2008 inaugure aussi une nouvelle catégorie : 'Terre(s) d'histoire', que les organisateurs souhaitaient mettre en place depuis plusieurs années. Le Figra détient désormais une section mettant en perspective l'actualité par le passé. Quatre 'Docs d'Afrique' permettent par ailleurs la découverte de ce continent à travers les yeux de reporters africains. Les sélections Avant-première, Docs en région, Toutes les télés du monde, Prix Rotary et Palmarès 2007 proposent en sus de nombreux films et reportages. Les deux expositions photographiques 'Zone frontière' et 'Pérou / Tanzanie : regards' prouveront de leur côté que l'image statique peut offrir autant que celle en mouvement.

          Avec ses cinq jours de projection, le Figra offre de quoi satisfaire les centres d'intérêt de chacun. Des sujets rarement joyeux, qui pointent des réalités qui, souvent, nous échappent. C'est aussi la possibilité de discuter des reportages et documentaires avec leurs auteurs et réalisateurs après les projections. Le Figra, c'est surtout la preuve qu'on peut regarder des images sans les consommer. La preuve que l'image peut être une véritable nourriture intellectuelle.

          (1) Pierre Bourdieu, 'Sur la télévision', Paris, Le Seuil, 1996, page 31.

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