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          FOOT ET CULTURE SONT-ILS INCOMPATIBLES ? Paris Saint-Germain-des-Prés

          FOOT ET CULTURE SONT-ILS INCOMPATIBLES ?

          Ça y est, la saison de foot est finie. A la plus grande joie de tous ceux pour qui ces jeux du cirque modernes constituent un abrutissement de masse que seule la Culture et son pouvoir élévateur peuvent endiguer...

          L’été dernier, à l’occasion de la Coupe du monde, Arte a diffusé une série d’excellents reportages consacrés au foot. Mais rien n’y fait : ses téléspectateurs sont toujours considérés comme des intellos, les fans de ballon rond comme des beaufs. Petit match France - Angleterre (l’Angleterre étant le seul pays dont le football et la culture parlent au monde) pour constater que cette distinction n’est pas universelle.

          Angleterre 1 - Johnny 0

          “Ovale ou rond, un ballon c'est pour les cons.” Le chanteur Jacno, ancien Stinky Toys, doit être vachement fier de son aphorisme. Même si, à y voir de plus près, il n’est pas moins réducteur que “blondes ou brunes, les filles, elles savent pas conduire”. Il traduit en tous cas le mépris que la plupart des artistes français éprouvent pour le sport en général et le foot en particulier. Combien de classiques de la littérature évoquent le ballon rond si ce n’est ‘Le Rouge et le Noir’, vibrant hommage aux Rossoneri de l’AC Milan ? Combien de films “sérieux” (comprendre “susceptibles de remporter un César autre que celui des meilleurs décors”) lui sont consacrés ? En général, à l’instar du ‘3 Zéros’ de Fabien Onteniente, les longs métrages footballistiques font dans la bonne grosse comédie familiale destinée à un public déjà converti, amateur de frappes enveloppées et de Sochaux-Sturm Graz en Coupe Intertoto. Bien sûr, il y a des exceptions : Enki Bilal revendique dans ses bandes dessinées sa passion pour le foot, et le rap dans son ensemble en a fait un des éléments de son quotidien. Mais quelques mordus ne pèsent pas lourd face aux nombreux hommages auxquels il a droit au Royaume-Uni.

          De Ray Davies (Kinks/Tottenham) aux frères Gallagher (Oasis/Manchester City) en passant par John Lydon (Sex Pistols/Arsenal) ou Morrissey (Smiths/Manchester United), les pop-stars britanniques ne font jamais mystère de leur attachement à un club. Rod Stewart a même failli devenir pro au Celtic Glasgow ! Nick Hornby, auteur du best-seller ‘High Fidelity’, clame son amour pour Arsenal dans presque tous ses bouquins. Quant au film ’My Name is Joe’ de Ken Loach, un réalisateur pourtant vénéré par l’intelligentsia culturelle, il raconte le quotidien d’un chômeur écossais devenu entraîneur d’une équipe de pieds carrés. Mais il est une manifestation plus criante encore du fossé culturel qui sépare la France et le Royaume-Uni : les Lightning Seeds et surtout New Order, avec ‘World In Motion’, ont interprété les chansons officielles de l’équipe d’Angleterre. En France, “foot” et “beauf” semblent indissociables puisqu’à l’occasion du Mondial 2002, c’est à Johnny Hallyday qu’a été confiée cette mission. Avec le résultat qu’on connaît (élimination des Bleus au premier tour)…

          Culture et populaire sont-ils incompatibles ?

          La culture britannique possède une identité populaire et même ouvrière : les films de Ken Loach baignent dans un environnement typiquement working-class et les personnages de ‘The Full Monty’, grand classique du cinéma d’outre-Manche, sont des chômeurs qui tuent le temps en se livrant quelques matches acharnés. C’est aussi en Angleterre qu’un chanteur adoubé par l’élite culturelle, en l’occurrence John Lennon, écrivit une chanson pour se plaindre de la difficulté d’assumer son statut de “héros de la classe laborieuse”. Bref, la culture du Royaume-Uni s’appuie sur des références grand public, sans chercher à les gommer : le foot et le rock en sont même les deux piliers. Elle n’est diffusée par aucune élite et s’adresse directement à une “Angleterre d’en bas” dont elle forme le décor quotidien. En France, au contraire, on parle du “milieu” de la culture et celle-ci a droit à son ministère. Preuve qu’elle vient d’en haut et n’appartient pas à tout le monde...

          Il y a donc, chez nous, un gouffre entre culture et populaire. D’ailleurs, ce n’est pas le football lui-même qui est méprisé mais l’ensemble des distractions de Monsieur Tout-le-monde : n’oublions pas qu’il a fallu attendre 1981 pour que les arts populaires (le cirque, les musiques autres que le classique) soient soutenus par l’Etat. Jusqu’alors, l’héritage de Malraux leur conférait un statut “d’art du pauvre” indigne d’être exposé dans les musées. Seuls les arts classiques et savants constituaient une culture valable. Serge Gainsbourg, ancien peintre et donc marqué par cette distinction, vivait mal l’idée d’être populaire : “Mon plus grand regret, c’est d’être devenu célèbre grâce à la chanson, un art mineur”. Cette hiérarchie qui place la culture au-dessus du grand public condamne le football, symbole populaire par excellence. Elle traduit également une vision quasi-religieuse de la culture, noble et élévatrice, en l’opposant à l’activité physique, bassement soumise au corps. Il suffit de voir le peu d’estime accordé au sport dans l’enseignement : il est une discipline mineure alors que certaines civilisations telles que la Grèce antique l’érigeaient en art de vivre - “un esprit sain dans un corps sain”. Bref : les rebelles anti-foot sont élitistes et puritains. Et surtout, ils prennent leur public pour des abrutis.

          Un effet Coupe du monde ?

          Grâce à Zizou, le foot n’est plus tabou. Quelques personnalités du monde de la culture ont même fait leur coming-out : en 1985, Renaud parlait des supporters comme de “fanatiques, fous-furieux abreuvés de haines et de bières”. Aujourd’hui, le chanteur supporte l’OM (les ravages de l’alcool...). A vrai dire, dans la plupart des cas, il s’agit moins d’une passion sincère que de la volonté de coller à l’air du temps et de participer à l’immense partie de “m’as-tu vu au Stade de France” qui se joue depuis 1998. La vraie nouveauté, c’est l’arrivée sur le devant de la scène musicale de véritables fans de foot : Miossec soutient le Stade Brestois et Mickey 3D a connu son plus grand succès avec une chanson à l’ancien joueur de Saint-Etienne Johnny Rep. Cette génération ne connaît pas le même complexe que ses aînés. Il faut dire qu’elle s’est largement nourrie d’influences anglaises… Pour les autres, on peut simplement regretter qu’il ait fallu attendre une victoire en Coupe du monde pour assister au décoinçage général. Mais tous les entraîneurs du monde vous le diront : peu importe la manière, seul compte le résultat…

          Hélas, cette mue ne s’est pas opérée entièrement. Quand des grands noms de la culture et notamment de la littérature évoquent le foot, c’est souvent pour l’analyser d’un point de vue extérieur. Rares sont ceux qui osent s’impliquer autant que les vrais passionnés. Le procédé de distanciation le plus couramment utilisé consiste à donner au football une noblesse, une poésie qu’il n’a pas : on l’associe à l’enfance, à l’âge d’or du grand Reims ou de Saint-Etienne, on l’élève au rang d’art au prétexte d’un beau dribble de Zidane quand on ne lui prête pas des vertus morales en glorifiant le fair-play… Le vrai football, celui des milieux de terrain sanguinaires, des genoux cassés et des supporters préférant assister à une victoire des leurs sur un penalty imaginaire plutôt qu’à une belle défaite (genre 4-3 après prolongations) n’est pas encore assumé par la culture. Celle-ci ne jure que par un idéal de beau jeu et de justice sportive. Un discours naïf et hilarant aux oreilles de n’importe quel supporter. Et un moyen supplémentaire de donner au sport une dimension spirituelle…

          FC (Foot et Culture) United !

          Si certains cultureux ont une image faussée des supporters, ceux-ci ne se gênent pas non plus pour caricaturer le monde de la culture : l’imaginaire collectif le représente comme un microcosme parisien branchouille réunissant journalistes et lecteurs de Télérama. Un cliché populiste au travers duquel la culture elle-même devient suspecte : on reproche toujours aux footeux d’être des crétins mais dès que l’ancien joueur de l’équipe de France Vikash Dhorasoo a le malheur de se lancer dans une entreprise artistique en tournant le film ‘Substitute’, qui a reçu de bonnes critiques, le milieu du ballon rond lui tombe dessus comme s'il avait trahi sa vraie famille, la grande confrérie des crétins footeux. La culture et le foot n’ont rien d’incompatibles dès lors qu’on ne les réduit plus à leurs clichés : non, les supporters ne sont pas tous des boeufs. Non, le milieu culturel n’est pas composé uniquement de gens persuadés d’avoir le monopole du bon goût. D’ailleurs, on peut très bien être un intellectuel et adorer le foot. Un écrivain et philosophe a déclaré dans France Football en 1951 : “Tous les principes de la vie, c’est le football qui me les a appris”. Thierry Roland ? Presque : Albert Camus.

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