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          METIER : REPORTER DE GUERRE Une autre vérité

          METIER : REPORTER DE GUERRE

          Carnet en poche, caméra au bras ou micro en main, ils veillent à informer le monde depuis les zones de conflits. Les reporters de guerre, G.I's de l'information ? Zoom sur un métier de passion.

          Raconter des histoires, rencontrer des gens, rapporter une vision des événements, découvrir de nouvelles cultures, aimer son prochain, être curieux : autant d'éléments indispensables pour devenir un bon reporter de guerre. Depuis Albert Londres, pionnier du genre, qui estimait que le rôle du journaliste grand reporter "n'est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort", mais "de porter la plume dans la plaie", le métier a évolué au fil des siècles, au détriment parfois d'un traitement complet des conflits.

          Nostalgiquement vôtre…

          Albert Londres lors du conflit sino-japonais (c) DR - Roger-Viollet Ils s'appelaient Albert Londres, Joseph Kessel ou encore Lucien Bodard. Héros d'un genre journalistique en perdition, ils maniaient la plume d'après leur regard aiguisé, leurs rencontres insolites, leurs voyages au long cours. Mi-baroudeur, mi-aristocrate, la figure du grand reporter, jouant sa vie pour l'information, est devenue mythique. "Dans l'imaginaire du métier, le reportage avait quelque chose d'exotique et de tragique, d'héroïque et de lyrique" (1), précisent Philippe Cohen et Elisabeth Lévy. Clope au bec, flasque d'alcool en poche, peau tannée, ils ne ressemblaient pas aux journalistes à gilets pare-balles envoyés aujourd'hui dans les zones sécurisées pour traiter les conflits. Il y a encore quelques années, marcher dans leurs traces était un honneur. "On pouvait avoir la chance de fréquenter les hôtels (…) où ils avaient trouvé l'inspiration, pris des cuites et couru les filles, comme l'Oloffson de Port-au-Prince immortalisé par Graham Greene (…)." (2) Pour définir son métier, Albert Londres disait : "Un vrai reporter doit savoir d'abord écouter et regarder. Celui qui sait seulement écrire ne sera jamais qu'un littérateur" (3). A l'époque, la frontière entre réalité et fiction est mince. Comme l'écrivait Elle-Joseph Bois, sa rédactrice en chef, Albert Londres avait "moins le souci de l'exactitude que celui de la vérité" (4). Une manière de transmettre, partagée par ses contemporains, derniers chefs de file d'un mouvement journalistique en berne. Ainsi Lucien Bodard expliquant que le métier de journaliste "consistait à voir et décrire ; à fabriquer des histoires" (5). Montrer ne leur suffisait pas, il fallait aussi que le lecteur ressente et vive les choses, en leur transmettant un message.

          Le temps, c'est de l'argent

          Joseph Kessel (c) DR Malheureusement, si le mythe est resté, son modèle s'est enfui. Aujourd'hui, les reporters de guerre ne travaillent plus dans le même esprit. Ils n'en sont pas entièrement responsables : leurs rédactions ne débloquent plus les mêmes moyens. Partir en reportage, s'il n'y a pas d'actualité chaude, n'intéresse plus vraiment les rédacteurs en chef. ""La première question que l'on me pose quand je propose un sujet est : combien ça va coûter ?", se désole Slimane Zeghidour, grand reporter à TV5. Pire, on me demande parfois de présenter un devis." (6) Mais le problème ne date pas d'hier. Déjà en 1962, lors d'une interview télévisée, Joseph Kessel notait ce fait. Vingt-cinq ans plus tôt, pour son reportage sur les 'Traces des marchands d'esclaves', sa rédaction dépense 1 million de francs pour une expédition de plus de 6 mois. "Il y avait dans la presse française des possibilités matérielles qui n'existent plus maintenant" (7), précise Joseph Kessel.
          Plusieurs mois sur le terrain, les reporters avaient le temps de s'immerger, d'observer, de prendre du recul. Albert Londres écrira à ce propos, dans une lettre adressée à ses parents : "Un correspondant de guerre n'est pas un pisseur de copies. (…) Notre rôle consiste à être là pour le grand jour. Ce grand jour se fait parfois attendre un mois." (8) Age d'or du grand reportage, la première moitié du XXe siècle offrait du temps et de l'argent à ses "vagabonds internationaux", ses "flâneurs salariés" (9), maniant la plume et l'esprit critique.

          (1) Philippe Cohen et Elisabeth Lévy, 'Notre métier a mal tourné. Deux journalistes s'énervent', ed. Mille et une nuits, 2007.
          (2) Idem.
          (3) Albert Londres, 'La Traite des Noirs', référencé dans l'ouvrage de Pierre Assouline 'Albert Londres, vie et mort d'un grand reporter'.
          (4) Citée par Jean Rabaud dans L'Histoire n°70, septembre 1984.
          (5) Extrait du film de d'Olivier Weber et Michel Vuillermet 'Lucien Bodard dit Lulu le Chinois', 1998.
          (6) Philippe Cohen et Elisabeth Lévy, 'Notre métier a mal tourné. Deux journalistes s'énervent', ed. Mille et une nuits, 2007.
          (7) TSR Archives – Emission Préfaces 1962.
          (8) Lettre d'Albert Londres à ses parents, 13 novembre 1915 ; référencé dans l'ouvrage de Pierre Assouline 'Albert Londres, vie et mort d'un grand reporter'.
          (9) Pierre Assouline, 'Albert Londres', ed. Balland, 1989.

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