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          ANDRÉE CHÉDID PAR BRIGITTE KERNEL Hommage

          ANDRÉE CHÉDID PAR BRIGITTE KERNEL

          « Nous ne donnons rien au poème qu'il ne nous rende au centuple ». Ainsi Andrée Chédid considérait-elle son rapport au verbe. Alors qu'elle s'est éteinte le dimanche 6 février, à Paris, Brigitte Kernel, journaliste de France Inter qui a écrit un livre d'entretiens avec la poétesse et romancière, revient sur leur amitié.

          Faire surgir la vie à travers toutes les ombres. C'était la grande quête de la poétesse et romancière Andrée Chédid qui s'est éteinte dimanche 6 février à Paris, à l'âge de 90 ans. Née Andrée Saab le 20 mars 1920 au Caire (Egypte), d'origine libanaise chrétienne, elle est la mère du chanteur Louis Chedid et de la peintre Michèle ChÉdid-Koltz, ainsi que la grand-mère du chanteur Matthieu Chedid pour lequel elle a écrit plusieurs chansons. La journaliste Brigitte Kernel (qui présente actuellement Noctiluque sur France Inter) a eu la chance de la connaître. Elle revient sur cette amitié qui a débouché sur l'écriture d'un recueil d'entretiens, 'Entre Nil et Seine', paru en janvier 2006 chez Belfond.

          Lire la critique de 'Entre Nil et Seine'.

          « Nous nous sommes rencontrées, il y a près de 20 ans maintenant. J'animais une émission le soir sur Inter. Elle est venue. Et surtout, elle est restée longtemps après la fin de l'émission. C'était la nuit. Je m'en souviens très bien. Et puis elle est rentrée chez elle. Elle habitait de l'autre côté de la Seine. Elle aimait cet appartement car, native du Caire, elle retrouvait le Nil de son enfance dans le fleuve parisien qui coulait sous ses fenêtres. Ce Nil, elle le disait souvent, était sa source. Cette première rencontre dans un studio d'Inter a été le début de quelque chose de très fort entre nous. Car elle est revenue souvent dans mon émission. Et, je me souviens que je l'imaginais souvent en train de traverser le pont pour rentrer chez elle.

          De quoi parlions-nous ? Elle me disait beaucoup de choses sur l'écriture. Elle m'expliquait comment oser dire des choses profondes sans s'exposer. Et puis les années ont passé. Et cette discussion entamée est devenue un projet de livre. J'étais fascinée, il faut bien l'avouer, par sa modestie et son humanité profonde. Moi, la journaliste qui débutait à l'époque dans l'écriture, elle m'écoutait. C'en était gênant par moment. C'était quand même elle la Grande Femme de Lettres. Pourtant, elle n'avait jamais peur d'inverser les rôles. Je n'ai connu cela que deux fois dans ma vie, avec l'éditeur et poète Pierre Seghers et avec Françoise Sagan.

          Pour revenir à ce livre d'entretiens, nous nous sommes vues tous les mercredis durant un an dans son appartement du 16ème arrondissement. Quand je débarquais chez elle, le café était prêt. Une cigarette tirée du paquet. Au cas où. Mais elle savait que je ne fumais pas. Nous commencions par avoir une discussion de dames. Elle disait qu'elle lisait sur mon visage mon état d'esprit du moment, si ça allait bien ou non. De son côté, elle ne se livrait pas trop. En fait, il nous fallait parler une heure entière avant qu'elle ne déclare la séance ouverte et qu'elle ne me dise : « ça y est, on peut y aller ». Et là, notre grande conversation reprenait. Elle me parlait de son enfance, de son rapport aux mots, à la poésie, au théâtre. Elle évoquait le Liban, l'Égypte, son mariage. Tous les grands sujets sur lesquels elle conservait finalement une grande pudeur.

          Je repense souvent à ces mercredis. Elle m'attendait là. Chaque fois, c'était pour moi une arrivée incroyable dans son monde, dans son univers incomparable, dans cette bonté. Ces conversations ont fait naître un livre, mais surtout une relation amicale forte. Elle parlait de notre rencontre comme d'un compagnonnage. Dans nos derniers rendez-vous, je m'apercevais qu'elle ne se souvenait plus de nos dernières conversations. Même si, à lire son dernier roman, 'Les Quatre morts de Jean de Dieu' (éd. Flammarion), on voit qu'elle avait conscience de l'avancée de sa maladie (Andrée Chédid était atteinte de la maladie d'Alzheimer, ndlr), conscience que « toute existence est un lent processus de démolition », selon les mots de Scott Fitzgerald, elle était paniquée au début par ces pertes de mémoires. Car j'ai vécu cette bascule exacte, ce moment où, disait-elle, elle perdait des bouts de mémoire. Voilà, nous avons terminé nos entretiens. Avant cela, elle a tenu à me présenter Bruno Doucet, un grand éditeur de poésie notamment. Et son fils, Louis, auquel j'ai ensuite consacré un ouvrage. Andrée m'a fait ce cadeau, elle m'a proposé cette transmission, d'elle vers son fils. Aujourd'hui, je suis triste. C'est bête à dire, cela ressemble même à un gros poncif, mais pourtant je n'ai pas d'autre expression. Oui, ce fut un cadeau immense de la vie. Une rencontre d'exception qui m'a emportée vers plus d'humilité. »

          Propos recueillis par François Aubel

          A lire :

          A voir : L'interview d'Andrée CHEDID pour son roman intitulé "L'autre"

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