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          INTERVIEW D’AMELIE NOTHOMB L’hirondelle d’automne

          INTERVIEW D’AMELIE NOTHOMB

          Chaque année, Amélie Nothomb fait les beaux jours de la rentrée littéraire, ne laissant personne indifférent. Qu’elle subjugue ou agace, Amélie continue de balader son oeuvre étrange et décalée. Rencontre avec l’auteur de ‘Journal d’Hirondelle’, qui nous parle de littérature, de cinéma, de son écriture, mais aussi de ses doutes et de ses espoirs...

          Après 'Acide sulfurique' basé sur une téléréalité nécrophile, vous continuez avec 'Journal d'Hirondelle' sur des sujets ancrés dans le réel, avec des références à la musique ou à des marques. Pourquoi situer davantage vos derniers romans dans l'actualité alors que les autres étaient plus intemporels ?

          Pour moi il n'y a aucune rupture, je n'avais pas l'impression d'être intemporelle auparavant. Ce sont peut-être des livres plus engagés que les précédents. Mais à bien lire les autres, l'engagement, le réel et la contemporanéité y étaient déjà complètement. Disons que ce sont des questions d'échelle et de loupe. Pour mes précédents livres, il fallait peut-être plus une loupe pour voir mes engagements et ici il en faut peut-être moins, mais pour moi tout était dans tout, il n'y a aucune rupture, aucune phase, je n'ai pas changé d'oeuvre, c'est toujours la même. Dans 'Hygiène de l'assassin', il y avait déjà des références à Depeche Mode, ce n'est pas différent !

          Vous abordez également le sexe de manière plus frontale et plus crue qu'auparavant...

          Là non plus je ne suis pas sûre que ce soit vrai. Tout était déjà présent dans 'Hygiène de l'assassin' que je considère comme mon manifeste. Il était déjà question de masturbation, de sexualité, avec un vocabulaire pas plus neutre. Vous savez, c'est comme dans un strip-tease : les gens voient les choses au fur et à mesure, mais la strip-teaseuse, excusez-moi de la métaphore, était déjà là au début avec toute sa matière première. Pour qui à l'oeil aiguisé, tout était déjà visible. Pour celui qui a le regard plus lent, peut-être ne voit-on vraiment les choses qu'au moment de l'effeuillage.

          Pensez-vous, comme votre tueur à gages, qu'il faille absolument aller dans les extrêmes pour avoir l'impression de vivre ?

          C'est une dérive que je constate de plus en plus dans la société d'aujourd'hui. On dirait qu'elle est atteinte d'une espèce de frigidité de tous les sens et qu'elle ne réagit plus qu'à la surenchère. C'est quelque chose qui me fait très peur, mais moi au contraire, je revendique cette miraculeuse virginité dont parle Prétextat dans 'Hygiène de l'assassin', cette virginité retrouvée qui n'est pas du tout une virginité de bondieuserie, qui permet de nettoyer tous ces périscopes et de tout ressentir dans une espèce de nouveauté fondamentale. C'est un état qui est à la portée de tous, c'est une hygiène que nous pouvons tous trouver.

          Vous êtes donc encore optimiste par rapport à tout ceci ?

          C'est un optimisme purement individuel car dès qu'il est question de choses collectives, je ne vois que des catastrophes se profiler. Je pense que nous sommes tous capables individuellement d'un travail sur nous-mêmes qui peut nous permettre de trouver ou de retrouver cela.

          Dans l'oeuvre de Bret Easton Ellis, on retrouve aussi des personnages insensibles, tel Patrick Bateman, qui n'ont du plaisir qu'en tuant. Que pensez-vous de cet auteur et de son univers ?

          C'est une sacrée métaphore de notre société moderne : la société de consommation poussée à son comble. Car derrière les produits, la matière de tout ce qu'on achète, il s'agit d'êtres humains. Le serial killer est celui qui pousse à l'extrême le principe même de la société de consommation. C'est évidemment une chose qui me paraît effrayante mais qui est très révélatrice de notre fonctionnement actuel. C'est en cela que les livres de Bret Easton Ellis sont intéressants et c'est peut-être pour ça qu'Urbain est tueur à gages.

          Qu'est-ce qui pourrait vous conduire à tuer quelqu'un ?

          Beaucoup de choses et en même temps rien. J'ai très souvent envie de tuer quelqu'un et en même temps je me connais assez pour dire que je suis probablement un des êtres qui aurait le plus de mal à passer à l'acte. J'ai vraiment un blocage. De tous les meurtres qui me seraient proposés, le moins impossible serait encore le suicide. Mais même celui-là je n'y suis pas prête. Je fais malheureusement partie de la catégorie de ceux qui ne feraient pas de mal à une mouche. J'ai déjà essayé, ça ne marche pas.

          Vous dites qu'il y a toujours de vous dans vos romans. Finalement, vous y mourez à chaque fois...

          Ecrire, c'est mourir un peu. C'est vrai qu'il y a de tout : de la strangulation, l'étouffement sous oreiller, beaucoup de solutions de meurtres, mais je crois que la pire des morts est celle qu'Urbain s'inflige à lui-même. Deux balles dans la tête, c'est encore le mieux.

          Ressentez-vous une différence lorsque vous écrivez en tant que narrateur masculin ou féminin ?

          Pas particulièrement. Je dois dire qu'un des grands luxes de l'écrivain, c'est que l'on n’est pas forcé de prendre parti comme nous le devons tous dans la vie courante où l'on doit plus ou moins assumer notre côté féminin et notre côté masculin. C'est une nécessité sociale que je trouve terriblement ennuyeuse et triste. Dans les livres au moins, on a ce luxe de ne pas être contraint à choisir. Franchement, une barrière entre les sexes qui rendrait la communication difficile, je laisse ça à ce genre de livres particulièrement débiles tels que 'Les Hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus' qui pour moi sont le sommet de l'ânerie.

          Meryl Streep disait récemment qu'elle avait besoin d'une musique différente pour chaque film qu'elle préparait. Quand vous écrivez, avez-vous besoin également d'une musique précise ?

          Quand je crée, je crée ma musique. J'écris des romans parce que je suis incapable d'écrire de la musique. Si j'avais pu choisir mon talent, je serais compositeur. Je n'ai le droit d'écouter de la musique que quand j'ai fini d'écrire. Mais bien sûr, avoir écouté beaucoup de musique au cours de ma vie m'influence certainement autant que le fait d'avoir eu telle lecture ou telle nourriture ou d'avoir fréquenté tel être humain. C'est vrai que 'Journal d'Hirondelle' se place sous le patronage de Radiohead qui, entre parenthèses, n'en voudraient sûrement pas vu qu'ils ne veulent de personne, mais Beethoven y est tout autant présent même s'il est très peu cité. Toutes les musiques interviennent et celles dont on ne parle pas sont également présentes. Les vraies influences musicales sont les rythmes de l'écriture qui nous viennent d’on ne sait où, mais sûrement de quelque musique que l'on a entendue.

          Vos livres sont hors norme avec des personnages atypiques, on peut aussi parler d'un personnage Amélie Nothomb quand vous êtes en promotion et pourtant vous jouez le jeu des artistes en passant à la télévision, en rentrant dans une sorte de norme...

          Vous savez, tout ceci ne procède d'aucune réflexion. Je fais les choses comme je peux. Le rêve serait de se passer évidemment de toute médiatisation, ce n'est certainement pas un plaisir, mais il le faut. Je ne me fais jamais l'effet d'être quelqu'un de différent. Quand on parle à son voisin de palier, on ne parle pas de la même façon que devant 250 personnes. Ce n'est pas pour autant qu'on se compose un personnage, c'est la chose la plus naturelle du monde. Le miracle serait de trouver quelqu'un qui parle de la même façon à sa concierge que devant 250 personnes. Mais je ne suis pas sûre que cette personne existe. C'est une question journalistique qui m'énerve : "Votre personnage Amélie Nothomb", mais qu'est-ce que ça veut dire ? C'est comme pour n'importe qui ! Evidemment qu'on est différent en fonction de toute personne qu'on a en face de soi. C'est parce que Dieu merci nous ne sommes pas monolithiques et que nous sommes perméables à la personne que nous avons en face de nous, sinon nous serions parfaitement infréquentables.

          Mais avec le niveau de notoriété que vous avez, ne pouvez-vous pas vous passer de cette médiatisation ?

          Il paraît que non. Il est certain que je n'ai pas encore atteint le stade de Stephen King. Si je deviens Stephen King un jour, eh bien on verra... Humainement je ne demanderais pas mieux que de me passer de tout ceci, mais j'aime être populaire, j'aime avoir du succès et je sais que je n'aurais pas ce succès-là si je n'étais pas un tout petit peu médiatique. Je le suis déjà bien moins que la demande.

          Vous écrivez plusieurs livres par an. Comment faites-vous le choix de celui qui va paraître ?

          Seule. Avec bien sûr tous les risques de me tromper. Mais tant qu'à me tromper, je préfère me tromper seule.

          Dans certaines critiques qu'on peut lire ici ou là, certaines personnes estiment que vous pourriez espacer vos parutions...

          Oui, mais j'ai rencontré tout autant de gens qui se désespéraient que je ne publie pas encore plus souvent. C'est pour ça qu'il ne faut surtout pas se soumettre à la démocratie dans ces cas-là, car franchement toutes les opinions et leur contraire existent, surtout quand il est question de moi et de mes livres. Il y a autant de gens pour dire que 'Journal d'Hirondelle' est une catastrophe que de gens pour dire que c'est mon meilleur livre. Il ne faut écouter personne et faire les choses exactement comme on le veut. La littérature n'est absolument pas une démocratie et heureusement ! Ce serait monstrueux, on obtiendrait des livres écrits par les lois du marché. Ce serait catastrophique.

          Pouvez-vous nous en dire plus sur les adaptations cinématographiques en cours de 'Mercure' et du ‘Sabotage amoureux' ?

          Je suis extrêmement dubitative. Vous n'imaginez pas le nombre de contrats que j'ai signés en 14 ans qui n'ont abouti à rien. J'avais signé cinq contrats pour 'Les Catilinaires', je n'ai toujours rien vu. Donc, prudence. Je peux vous annoncer que pour 'Le Sabotage amoureux', c'est retour à la case départ. Le milieu du cinéma m'a l'air mille fois plus bizarre et sordide que celui de la littérature puisque c'est une commission de producteurs qui s'est penchée sur le film du 'Sabotage amoureux' et qui a préféré tout annuler car elle ne voyait pas au juste à quel public ça s'adressait... Je trouve ces considérations ridicules car on pourrait dire ça de tous mes livres. C'est vrai, à quel public s'adressent mes livres ? C'est là qu'on voit la bêtise de notre monde moderne où toute oeuvre est censée cibler tel public. Mais quel mépris du genre humain ! Bien sûr qu'on ne sait pas à quel public s'adresse 'Le Sabotage amoureux', c'est pour ça que ce peut être une oeuvre intéressante !

          Comment réagissez-vous quand on vous propose une adaptation ?

          Je me montre extrêmement difficile. J'attends qu'on ait des arguments en béton pour me convaincre. Je me suis laissée convaincre dans ces deux cas, je ne sais pas si j'ai eu raison. Parfois on signe avec des gens formidables, mais même si c'est eux qui ont le pouvoir, ils peuvent se faire destituer par quelqu'un d'autre. Tout ceci me dépasse.

          A quelle question en avez-vous marre de répondre ?

          Toutes et aucune (rires).

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