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          INTERVIEW D’ERIC-EMMANUEL SCHMITT De l’écriture cinématographique

          INTERVIEW D’ERIC-EMMANUEL SCHMITT

          “Tous choisis sur notre physique !” s’exclame Eric-Emmanuel Schmitt en apprenant qu’il est rédacteur en chef d’un jour sur Evene entre Monica Bellucci et Carla Bruni... Un recueil de nouvelles touchées par la grâce, ‘Odette Toulemonde et autres histoires’. Une perle cinématographique du même titre sur les écrans le 7 février. Dramaturge, écrivain, philosophe et désormais réalisateur : un succès sur lequel il revient en toute simplicité...

          Comment passe-t-on de Mozart à Odette Toulemonde ?

          Face à Mozart, j’étais Odette Toulemonde, un être humain ordinaire qui reçoit la nourriture d’un artiste qui l’aide à vivre. Notre rapport à l’art est beaucoup plus essentiel et nourrissant qu’admiratif. Je lis, j’écris, pour explorer l’humanité dans sa diversité, pour satisfaire ma curiosité des autres. Je n’ai pas l’impression d’avoir changé de sujet, mais plutôt de forme.

          Vous êtes passé à la nouvelle…

          Après m’être beaucoup cherché dans cet art. C’est un genre très difficile. J’ai écrit de nombreuses nouvelles sans pour autant y trouver ma place. Puis, j’ai compris que je devais de nouvelles flèches au lecteur-cible pour toucher sa réflexion et ses émotions. Ainsi, mes nouvelles débouchent sur une trappe. J’avais besoin de prendre un accident de vie qui permet de raconter tout le destin en question…

          On a le sentiment qu’‘Odette Toulemonde et autres histoires’ est un condensé de votre oeuvre…

          C’est une vraie synthèse de ce que le roman et le théâtre m’ont appris. Le théâtre m’a appris l’économie, la précision du trait et le romanesque m’a appris à manier le temps. C’est d’ailleurs pour cela je pense que ça n’arrive que maintenant.

          Vous évoquez notamment le milieu de l’art de façon très critique ?

          Je déteste tous les milieux constitués comme milieu. Je trouve qu’à partir du moment où les hommes s’assemblent et se constituent en milieu : leurs oreilles poussent. Ils deviennent troupeau. J’ai horreur de la culture-club. Un club pour lequel il faut faire acte de conformité culturelle afin d’en obtenir la carte et aimer la même chose que les autres. Et surtout pas la même chose que les autres. Cette possession ésotérique de la culture me semble être une véritable escroquerie. Il ne faut pas vivre le mouvement de snobisme ou identitaire comme une chose définitive et nécessaire. Essayer de faire le tri dans ce qui nous constitue pour aller vers le mieux : c’est ce que l’on appelle l’humanisme.

          Olaf Pims, le critique littéraire dans ‘Odette Toulemonde’ est un membre à part entière de ce type de club, non ?

          Oui, il fait un merveilleux numéro de méchanceté qui ourle la phrase, tend la pensée. Littérairement, la méchanceté est merveilleuse. Mais, je dirais qu’il est lui-même inconscient du mépris que sa critique véhicule : mépris sexiste, social et artistique. Pour lui, Balthazar écrit pour des imbéciles : des femmes qui exercent de petits métiers. Il fait preuve de mépris artistique puisqu’il ne prend pas en compte l’oeuvre de Balzan sous prétexte qu’elle est accessible. Il est le triomphe de la forme sur le fond.

          Il reproche à Balzan de connaître un succès populaire…

          Une pathologie française qui touche non seulement le monde des arts mais aussi celui des affaires. On déteste la tête qui dépasse. D’ailleurs on voit une tête qui dépasse plutôt que voir quelqu’un qui réussit ce que soi-même on cherche à réussir. On ne parvient pas à se dire que le succès crée une dynamique. Il faut aimer le succès.

          Vous est-il déjà arrivé d’être confronté à de telles critiques ?

          A mes débuts, j’ai été reconnu par la critique. Comme j’insistais et que j’avais du succès : je m’en suis pris plein la figure. J’ai dû me construire et me convaincre qu’il ne fallait pas que je leur ressemble. Je n’allais pas devenir cynique et expéditif dans le jugement pour intégrer ce monde. Je devais conserver la patte qui me fait écrire : cette émotivité, cette empathie, cette forme de candeur. Tout écrivain connaît un moment de lutte, sinon il tombe dans le cynisme. Ce qui est le cas de beaucoup d’ailleurs (rires).

          Balthazar est un écrivain en pleine crise ?

          Ce n’est pas tant la crise d’un écrivain que la crise d’un homme de la quarantaine qui se rend compte que tout ce qu’il a bâti ne le rend, au fond, pas heureux. Si dans son oeuvre il y a l’essentiel, dans sa vie c’est le grand vide. Ce qui m’intéressait, c’est la crise de la quarantaine quand on a construit quelque chose et qu’on se rend compte que l’on a fait fausse route et qu’on a construit la mauvaise maison.

          ’Odette Toulemonde’ sort le 7 février au cinéma. Vous n’aviez pas peur de frustrer l’imaginaire de vos lecteurs en leur livrant des images ?

          J’y ai beaucoup réfléchi. Je ne sais pas si j’ai trouvé la solution mais en tout cas j’ai emprunté une piste avec ce premier film. J’ai toujours reproché au cinéma de remplir notre imagination, contrairement aux livres qui la stimulent. J’écris de façon brève et suggestive. Je me suis dit que j’allais aborder cet autre langage qu’est le cinéma, cet art réaliste, en gardant le même style. Souvent, ce n’est plus le réel que je filme mais ce qu’il y a dans la tête d’Odette. Elle s’envole quand elle est heureuse… Ces images sont suggestives car vidées de leur réalisme. Je fais du cinéma dans la continuité de mon travail d’écrivain.

          Cette fois, vous avez dû travailler en équipe ?

          Pathé m’avait fait un casting de pointures. Difficile de les choisir en fonction de leurs capacités. J’ai choisi sur un feeling humain : ceux qui étaient généreux et que ça amusait de faire le premier film d’un écrivain. Au début, nos échanges étaient essentiellement littéraires. Je leur expliquais ce que je voulais de façon poétique. Je n’avais pas les moyens techniques de leur dire les choses. A la fin du tournage, je faisais le vieux routier. J’avais assimilé leur vocabulaire. Mais je savais parfaitement depuis le début ce que je voulais et on m’a laissé faire ce que je voulais.

          Le personnage de Jésus est présent dans le film, pas dans la nouvelle. Pourquoi ?

          Joséphine Baker est le coeur rendu audible d’Odette. Jésus est son coeur rendu visible. Ma façon de fuir le réalisme. Ce personnage, que je fais passer pour le concierge de l’immeuble, n’existe, en fait, que dans l’esprit d’Odette. La première fois qu’elle le voit, elle est en train de dévorer le dernier livre de Balzan. Jésus, lui, fume un joint en regardant la lune. Quand Balthazar vient se réfugier chez Odette, Jésus lave les pieds des voisins de l’immeuble. Quand Odette parvient à arracher un sourire à Balthazar, Jésus marche sur l’eau… Jésus, c’est la bonté, la générosité d’Odette, son altruisme.

          Odette Toulemonde/Catherine Frot : un rôle sur mesure ?

          Je disais souvent à Catherine : “T’as pas laissé une miette ?” et elle me répondait : “Non, j’ai mangé tout le gâteau !” Elle adorait ce personnage. On a passé trois mois à trouver son habillement, sa coiffure et la danse. On n’a jamais autant filmé les chevilles de Catherine, ses jambes, sa nuque. Odette devait frôler le ridicule et, à d’autres instants, on devait se rendre compte qu’elle est une jolie femme. On a travaillé les contradictions : cucul et noir à l’intérieur. J’avais en tête le prince Myschkin de Dostoïevski : l’idiot dont tout le monde se moque parce qu’il est candide. J’aime évoquer ces fontaines d’altruisme, de bienveillance, de générosité qui sont facilement l’objet de risée.

          Joséphine Baker pour l’ambiance musicale du film ?

          Je savais dès le début qu’Odette aurait un jazz-band à l’intérieur et que cette voix serait noire et lumineuse. Joséphine Baker symbolise la candeur, les plaisirs du corps, le jardin d’Eden. J’adore son dynamisme vital.

          Avec ce recueil centré sur la quête du bonheur, vous allez encore passer pour un optimiste invétéré…

          Les femmes de ce recueil ne cherche le bonheur. Elles rencontrent, à un moment de leur vie, la grâce. Depuis que j’ai compris qu’être optimiste est un combat et que l’on peut être critiqué pour cela, je suis ravi de l’être. Ni l’optimisme, ni le pessimisme ne sont des savoirs. On ne sait rien de plus quand on est optimiste que lorsqu’on est pessimiste. Ce sont des attitudes face à un même diagnostic : la vie est difficile, pleine de douleurs, finit mal et la plupart des êtres humains sont trompeurs. Je vois, dans l’optimisme, la volonté de ne pas se résoudre à la laideur du monde, de ne pas vouloir être désenchanté. Il faut fuir l’indifférence et la lassitude. L’optimiste fait travailler son imagination puisqu’il sollicite le réel beaucoup plus que le pessimiste. Mon optimisme fait partie de mon humanisme.

          En contrepartie, vous évoquez plus que jamais la maladie et la mort…

          C’est le balancier : l’esprit et le corps. Le corps n’est pas qu’un réservoir de jouissance. Il est également source de vulnérabilité et de souffrance. Je ne veux pas concevoir que nos vies sont immortelles et en bonne santé. Elles sont en mauvaise santé et leur durée dépend assez peu de nous. Penser continuellement à cette fragilité me rend plus humain, plus proche de l’autre, plus proche de la réalité de ce que je suis.

          En opposition avec Michel Onfray qui considère le corps comme la seule valeur légitime au dépens de l’âme ?

          Il faut admettre la condition humaine dans ce qu’elle a de mystérieux. Mystère de la vie, de la mort et du sens. C’est en faisant le veuvage des pseudo-vérités que j’ai commencé à me sentir bien. Tant que j’étais dans l’espoir de changer la vie, j’étais en refus de la condition humaine. Accepter sa condition de corps qui est à la fois outil de jouissance - et je ne m’en prive pas - et instrument de souffrance : c’est le début de la sagesse. Le discours idéologique qui consiste à choisir soit le christianisme doloris soit le libertinage sensualiste de Michel Onfray est une baudruche !

          ‘Ma vie avec Mozart’ et la musique, ‘Odette’ et le cinéma. Vous avez besoin de transversalité dans les arts…

          De transversalité et de paradoxes. Toujours dans les tensions. J’ai fait cette histoire d’Odette parce que je pensais qu’elle ne pouvait être visible vraiment qu’au cinéma. Il me fallait les couleurs, les sons et les mouvements. C’est elle qui m’a poussé vers le cinéma.

          ‘Odette’ le recueil, ‘Odette’ le film : deux projets nés simultanément ?

          J’ai écrit l’histoire pour l’écran. Il ne m’était pas destiné. Je l’ai proposé à Gaspard de Chavagnac. Chaque fois qu’un metteur en scène parlait du film, il le réduisait à un seul de ses aspects : comédie sociale, comédie comique, film poétique, comédie romantique… Mais le film devait être tout cela à la fois. On ne pouvait réduire le langage que je mettais en place. On m’a incité à le réaliser moi-même. Ce qui n’effrayait personne, sauf moi. Au début du tournage, j’étais fou de bonheur. 70 personnes étaient au service de l’histoire que j’avais inventée. 15 ans que j’étais seul. J’avais pitié de moi au passé. Puis, je me suis dit que c’était bien de faire des trucs seul (sourire). J’ai donc, en marge du film, écrit les nouvelles. L’idée de pouvoir gérer seul un monde imaginaire, rien que par la plume, me paraissait un privilège incroyable.

          Vous avez d’autres projets cinématographiques ?

          Je finis une histoire originale pour le cinéma. Je pourrais puiser dans mon fond de pièces ou de romans, mais je crois que, pour trouver mon cinéma, il faut que je l’invente pour l’écran. Je veux trouver ma pensée cinématographique. J’ai posé les premières pièces avec ‘Odette’.

          “L’art nous aide à vivre” : c’est ce que vous ressentez aujourd’hui ?

          Je suis porté par ce que je fais mais je suis également porté par une énergie créatrice qui est en moi et dont je suis témoin. Tout ça me dépasse. Certains soirs il faut m’assommer. C’est fatigant. La vie s’en chargera… de m’assommer.

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