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          INTERVIEW MARTINE AUBRY « Nicolas Sarkozy n'aime pas la culture »

          INTERVIEW MARTINE AUBRY

          Candidate aux primaires du parti socialiste qui auront lieu les 9 et 16 octobre, Martine Aubry multiplie les interventions pour refaire son retard sur François Hollande. Mardi 6 septembre, elle a présenté aux acteurs du web son programme numérique pour la France avant d'accorder une interview exclusive à Evene.

          « Une France connectée, dans une société créative, pour tous ». Avant de nous accorder une interview, la candidate a énuméré les grands axes de sa politique en matière d'Internet. À savoir, la création d'une commission des libertés numériques, sorte d'extension de la CNIL pour, selon ses mots, « combattre la tendance à utiliser Internet et les réseaux pour contrôler et sanctionner leurs utilisateurs. » Si la maire de Lille est choisie par les sympathisants PS, puis élue en mai 2012, elle a évoqué son projet de créer un Grenelle de l'organisation du travail, dont un des volets serait de s'interroger sur les bons usages du numérique dans la vie des salariés. Des outils numériques sous-employés selon elle dans la démocratie politique. Elle s'est aussi prononcée pour l'ouverture des données publiques des municipalités sur Internet.
          « Pourquoi par exemple ne pas communiquer les zones à risques pour qu'enfin les citoyens se saisissent des sujets qui les concernent ? », s'est-elle interrogée, portée par la volonté que l'Internet soit « le plus libre possible ». Et, à la question de ce qui différencie son programme en matière d'Internet de celui de l'UMP (France numérique 2012), elle s'est défendue par cette phrase : « derrière les plus beaux mots, on peut mettre les pires horreurs, je pense notamment à la règle d'or… » Enfin, elle a rappelé son opposition farouche à Hadopi, parce qu'interdire à deux milieux, celui des artistes et celui des internautes, de se rencontrer lui semble « impensable ». Ainsi a-t-elle remis en avant son projet d'ajouter un euro par mois aux abonnements Internet afin de financer les droits d'auteurs et de favoriser la création.

          Est-ce que le numérique a changé votre rapport à la culture ?

          Oui, considérablement. J'utilise Internet depuis au moins dix ans. C'est un outil formidable de recherche pour me rendre dans les lieux que j'aime. Je vais par exemple sur votre site Evene, pour voir les expos à visiter en ce moment, où dans quelle galerie me rendre. Je vais aussi beaucoup sur le site de Beaux-Arts Magazine car j'y suis abonnée. Cela n'a rien à voir, mais je vais souvent sur artprice.com, car je fréquente beaucoup les ventes aux enchères.

          Si vous êtes élue, vous promettez un « printemps de la culture », quelles en seraient les priorités ?

          Je pense que la culture doit être en avant de notre projet. J'en ai la conviction. C'est ce que j'ai fait dans ma ville qui, à l'époque était fortement endettée et qui souffrait surtout d'une population à deux vitesses, ceux qui allaient bien et les autres. J'assume totalement ce choix et je le porterai au niveau national. En favorisant en priorité l'aide à la création. Les créateurs nous sortent du matérialisme dans lequel est noyée la société actuelle et nous aident à réfléchir justement vis-à-vis de cette même société. Et puis, on a besoin d'émotion car on vit dans un monde tellement dur. Et je voudrais que cela soit le cas pour tous les enfants de France, cela m'a tellement apporté. Et pour favoriser la création, j'ai dit que j'imposerais que chaque structure nationale ou financée par des fonds publics au niveau local puissent ouvrir 10 % à des jeunes artistes. Le deuxième objectif majeur, c'est l'éducation artistique. Que chaque enfant de France puisse aller au musée au moins deux fois par an, c'est peu deux fois par an, voir une pièce de théâtre, écouter un concert et y être préparé, d'où l'importance des médiateurs culturels à l'école. Dans ma ville, ça marche et je dois dire que cela a renforcé la sensibilité de beaucoup d'enfants qui étaient parfois renfermés, même pour certains violents. Et puis, cela permet de lier les gens, de vivre ensemble autrement qu'en allant acheter des produits. Ce ne peut pas être le but de la vie.

          Mais comment pensez-vous financer cette politique culturelle en pleine période de crise ? Vous avez évoqué lors du dernier festival d'Avignon la somme d'un milliard sur cinq ans…

          La culture, c'est le cœur des choses. Dans ma ville, je vous assure que cela a changé le climat. Alors, un milliard sur cinq ans ! Le budget de la culture aujourd'hui, c'est 2,7 milliards. Vous vous rendez compte 2,7 milliards dans un pays qui continue à dire qu'il est le grand pays de la culture européenne, voire mondiale. C'est 200 millions d'euros par an. Ces 200 millions, c'est 9 fois moins cher que la réforme de l'impôt sur la fortune que vient de faire Monsieur Fillon qui, elle, coûte 1,8 milliard par an. La politique, ce sont des choix. Et moi, je fais ce choix. La culture n'est pas dans les priorités aujourd'hui car cela ne coûte pas très cher, mais c'est selon moi une priorité politique réelle.

          Vous avez fait une proposition de taxe à un euro sur l'abonnement internet, mais elle concernait principalement le téléchargement musical ? Vous êtes plus prudente sur le livre numérique ?

          Sur le livre, nous avons un vrai débat parce que les acteurs de ce secteur ne sont pas d'accord. Donc, il faut laisser mûrir le débat entre les éditeurs, les auteurs et les opérateurs. Personnellement, je serais catastrophée que les livres disparaissent. C'est un débat que j'ai constamment avec mon mari qui ne lit plus que sur le web. Heureusement que tout n'y est pas encore. Mais moi j'aime bien toucher les livres dont je suis entourée, les garder, les annoter, mais j'appartiens peut-être à une autre génération. Reste que je me félicite que le numérique ouvre la lecture à un public plus large.

          Que pensez-vous de la politique du gouvernement et de Frédéric Mitterrand en matière de culture ?

          D'abord, je trouve dommage le départ de Jean-Jacques Aillagon du château de Versailles (il a été remplacé par l'ancienne conseillère de Nicolas Sarkozy, Catherine Pégard, ndlr). Il avait ouvert cet établissement vers l'art contemporain, vers d'autres publics. Je pense aussi que sa programmation de musique baroque était intéressante. Mais aujourd'hui, on change les hommes et les femmes moins pour des raisons de fond que pour des raisons politiques. En ce qui concerne, Frédérique Mitterrand, c'est pour moi une grande déception. Je l'ai connu lorsqu'il lançait son réseau de cinéma qui nous ouvrait à ce que l'on appelait à l'époque l'art et l'essai, à un cinéma moins coûteux, ouvert, diffusé dans les quartiers. Bref, il était à la pointe dans son domaine. Aujourd'hui, il s'est moulé dans un monde qui ne croit pas à la culture, qui s'en méfie. Parce que les créateurs mettent le doigt où ça fait mal ? Parce qu'ils posent des questions inquiétantes pour la droite, qui font réfléchir ? Et je crois que dans le monde dont je parle, on n'aime pas trop cela, réfléchir. Je pense que le Président de la République n'aime pas trop la culture. Quand on dit qu'il est aberrant de lire 'La Princesse de Clèves', je trouve ça suffisamment symbolique. Nicolas Sarkozy a inventé un slogan, « la culture pour chacun ». Moi j'aimerais mieux qu'il mette en place « la culture pour tous », mais c'est trop tard maintenant.

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