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          INTERVIEW DE PATRICE GELINET La Voix de l'histoire

          INTERVIEW DE PATRICE GELINET

          Il est la voix de l'histoire à la radio. Producteur de l'émission '2.000 ans d'histoire' sur France Inter, digne descendante des 'Jours du siècle', Patrice Gélinet décortique quotidiennement notre histoire politique, sociale et culturelle depuis près de dix ans.

          Chaque jour de 13h30 à 14h, le long des ondes de France Inter, Patrice Gélinet nous invite à un voyage dans le passé. Un passé qu'il s'efforce d'éclairer avec rigueur et passion jusque dans ses temps les plus sombres ou les plus méconnus. Entre archives inédites et musiques d'époque, information et réflexion, historiens et témoins se succèdent devant son micro pour faire de l'histoire le prisme privilégié d'une meilleure compréhension de notre présent.

          Vous avez commencé par enseigner l'histoire avant de la raconter au micro de France Inter. Pourquoi ce changement d'orientation ?

          Je continue de m'adresser à un public. Je suis simplement passé de trente auditeurs à quelque 700.000. '2.000 ans d'histoire' n'est pas un cours et les auditeurs ne sont pas des élèves. Il y a une dimension nouvelle. Je suis très loin de maîtriser tous les sujets. Chacune des émissions est donc pour moi une occasion d'en apprendre davantage.

          Comment définiriez-vous la ligne éditoriale de votre émission ?

          Le principe essentiel réside dans le choix très éclectique des sujets. Trop souvent dans les médias, les historiens ont tendance à traiter essentiellement de l'histoire politique. Tout a une histoire. Un objet ou encore un aliment comme le chocolat, le café ou le champagne. D'où viennent-ils ? Comment ont-ils été intégrés dans notre culture ? Il s'agit pour nous d'aborder l'histoire dans ses dimensions les plus larges. Qu'elle soit politique, sociale, économique, culturelle, spirituelle, religieuse, scientifique ou encore ce qu'on appelle l'histoire des mentalités.

          Vous imposez-vous une posture éthique dans la conception de votre métier ?

          Je m'interdis de m'interdire. J'aborde absolument tous les sujets sans aucun préjugé. C'est un principe auquel je ne dérogerai jamais. J'essaie de livrer les faits à l'état brut, éclairés par les propos de mon invité. Aux auditeurs ensuite de mener leur propre réflexion. Et lorsque le sujet abordé se prête particulièrement au débat, il nous arrive de faire venir deux invités pour une même émission pour mieux révéler les contradictions.

          Comment construisez-vous votre émission ?

          Pour ce qui concerne la construction dans ses grands axes, je m'efforce de respecter la chronologie, afin que les auditeurs ne confondent pas les causes et les effets d'un événement. Je soumets d'ailleurs les questions à mon invité en m'entretenant avec lui quelques minutes avant la prise d'antenne de manière à ce qu'il n'anticipe pas. Plus il est à l'aise, plus son propos sera intelligible. L'invité est véritablement l'"élément" le plus important de l'émission. Nous entrecoupons le dialogue avec des archives sonores du XXe siècle lorsqu'il s'agit d'un sujet contemporain, ou d'extraits de films pour les plus anciens. Et pour une meilleure contextualisation du sujet, la réalisatrice étoffe toujours les archives d'une musique d'époque. Les critères de choix de nos sujets sont de trois types. En fonction de la sortie d'un livre dont j'invite l'auteur. Ou de l'actualité à laquelle nous essayons de réagir le plus rapidement possible (élection présidentielle, attentat…). Il ne s'agit pas de commenter l'actualité à chaud mais de l'éclairer en fonction de l'histoire. Enfin, troisième critère, les anniversaires de naissance ou de disparition.

          Combien de personnes participent à la préparation de l'émission ?

          Nous sommes cinq, moi compris. Il y a trois assistants de production chargés de compiler les différents éléments qui serviront à la construction de l'émission. Emmanuelle Fournier se charge de sélectionner les sujets, de prendre contact avec les invités, de répondre au courrier des auditeurs. Claire Destacamp prend en charge la rechercher des archives contemporaines à partir du fond de l'INA (Institut national de l'audiovisuel). Quant à Frank Olivar, il visionne des films afin d'en isoler les meilleurs extraits. La règle, c'est que le passage illustre le propos. Notre réalisatrice Anne Kobylak reçoit ensuite tous ces éléments auxquels elle mêle des musiques appropriées. Elle coupe, déplace et harmonise l'ensemble. A cela s'ajoute tout son travail en direct à la régie, en collaboration avec les techniciens. Enfin, le producteur, contrairement au cinéma, est la personne qui anime l'émission. Il s'agit donc pour moi de suivre tout ce processus de préparation avec attention afin de maîtriser au mieux mon sujet.

          Entre vulgarisation et démocratisation, quelle démarche favorisez-vous ?

          Je ne pense pas que vulgarisation et démocratisation soient incompatibles. "Vulgariser" ne signifie pas "tirer vers le bas". Il s'agit plus de faire en sorte que le sujet soit accessible à tous. Surtout à ceux qui en ignorent tout. Encore une fois, quand nous choisissons un sujet quatre ou cinq semaines en avance, j'en ignore souvent toutes les subtilités. Cela fait une bonne trentaine d'années que je fais de l'histoire, dont plus de vingt à l'antenne de Radio France, et je mesure tous les jours mon ignorance. C'est un domaine inépuisable dont on ne ressort jamais rassasié.

          Votre émission est l'une des plus suivies de la grille de France Inter. Comment expliquez-vous cet intérêt des auditeurs pour le passé ?

          Tout simplement parce que le présent est totalement incompréhensible sans la connaissance du passé. Prenons un exemple : nous vivons dans une démocratie. Si nous en connaissons les grandes lignes, nous ne pouvons en saisir le véritable sens sans connaître les conditions de sa naissance il y a vingt-cinq siècles. Autrement dit, un événement comme l'invention de la démocratie me paraît indispensable pour comprendre ce qu'elle est aujourd'hui.

          Comment appréciez-vous un tel succès alors que les enquêtes ne cessent de rapporter un certain désintérêt pour la radio ?

          C'est un discours que l'on entend depuis l'explosion de la télévision dans les années 1960. On prédisait alors que la radio ne s'en relèverait pas. Elle se porte pourtant toujours très bien, tout simplement parce qu'elle présente des qualités propres que n'a pas la télévision. J'ai toujours considéré que l'image, sans dénier ses nombreuses qualités, a tendance à perturber l'attention. La première des spécificités de la radio, c'est évidemment le son. Et, ne serait-ce que par le choix des ambiances musicales ou des choix d'archives, je me suis toujours efforcé de faire en sorte que l'auditeur puisse imaginer, "mettre des images" sur ce qu'il entend. C'est une façon aussi de forcer l'auditeur à rester attentif, alors que le téléspectateur est capable de "regarder" sans vraiment savoir ce dont on lui parle. Par ailleurs, devant un micro, un invité a tendance à "se déboutonner" davantage, à parler avec beaucoup plus de spontanéité. Devant une caméra, l'invité, soucieux de son apparence, se révèle beaucoup plus inhibé. Toutes ces différences font que la radio se porte et se portera longtemps très bien. Il faut bien comprendre que radio et télévision ne sont pas en compétition. Ce sont deux instruments, deux médias complémentaires.

          Etes-vous satisfait de la place accordée à l'histoire dans les médias ?

          Oui, dans l'ensemble. Si ce n'est que la place accordée à l'histoire ultracontemporaine me semble parfois excessive. Une histoire que l'on a d'ailleurs souvent tendance à noyer dans un flot d'images, au détriment de l'analyse. C'est pourquoi je tenais vraiment à ce que notre émission de radio couvre une chronologie la plus large possible. 2.000 ans et au-delà. Les périodes que je préfère sont souvent celles que je connais le moins.

          Les docufictions submergent nos écrans. Sous prétexte de vouloir concrétiser l'événement historique, on le vide de toute réflexion. L'histoire devient une histoire. N'y a-t-il pas là un risque de banalisation de l'événement ?

          Il y a des événements dont nous connaissons très bien le déroulement grâce aux nombreuses sources écrites. Mais, dans la mesure où l'histoire est respectée, la reconstitution historique par l'image peut parfois se révéler très utile. Le téléspectateur ou l'auditeur réfléchit à partir des faits. La réflexion suit toujours la découverte. Il faut donc d'abord lui donner de la matière. A quoi sert de se lancer dans un commentaire de la Déclaration des droits de l'homme si on n'a aucune connaissance de la Révolution française ? De la même façon, à quoi sert de diffuser un docufiction visuel ou sonore s'il n'est pas suivi d'un débat ? Il est nécessaire d'associer information et réflexion pour prendre la pleine mesure d'un événement historique. C'est la raison pour laquelle dans '2.000 ans d'histoire', nous invitons de moins en moins de témoins, pour se détacher du récit subjectif de l'événement, au profit d'historiens. Une émission comme les 'Dossiers de l'écran' avait réussi à trouver l'équilibre : il y avait un film, suivi d'un débat avec des invités. Lorsque l'on diffuse un téléfilm sur Jean Moulin dans lequel on fait porter la responsabilité de sa capture à un résistant, sans preuve probante, il fallait absolument donner la possibilité à un historien d'apporter la contradiction.

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