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          INTERVIEW DE RAMA YADE La cécité républicaine

          INTERVIEW DE RAMA YADE

          Face aux inégalités, aux discriminations, au dédain républicain dont sont victimes les "Noirs de France", Rama Yade a décidé de réagir avec pertinence et lucidité. L'occasion pour EVENE de revenir, avec l'auteur, aujourd'hui secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères et aux Droits de l'Homme, sur ce livre coup de poing, au sous-titre évocateur : 'Les Nouveaux Neg'marrons'.

          Comment avez-vous eu l'idée ou le désir d'écrire ce livre 'Noirs de France' ?

          A la suite de l'incendie survenu dans l'immeuble du boulevard Vincent Auriol à Paris. Je n'avais pas aimé la manière dont les résidents de cet immeuble avaient été présentés dans les médias : on a fait comme s'il s'agissait de migrants fraîchement débarqués de Roissy alors que ces personnes étaient françaises (ce qui sera confirmé plus tard). Je me suis alors dit : "Et si ce désastre avait mis en lumière non pas les failles de la politique du logement mais celles de l'intégration des citoyens d'origine africaine dans notre pays ?" J'ai proposé au journal Le Monde de publier une tribune sur le sujet. Quelques jours après la publication de cet article, le président des éditions Calmann-Lévy m'a fait parvenir un mot pour me dire qu'il avait été touché par mon article et me demandait d'écrire un livre sur les Noirs en France.

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          Quel est l'objectif de ce livre ?

          J'ai hésité à écrire ce livre. Après tout, être Noire ne fait pas de moi une spécialiste des Noirs. Et puis ce n'est pas parce qu'on est Noir, qu'on représente tous les Noirs, qu'on sait ce qu'ils pensent, ce qu'ils veulent, etc. Au final, j'ai accepté d'écrire ce livre tout simplement parce que je n'avais pas le choix : je voyais des tas de gens écrire des livres sur les Noirs sans qu'ils sachent vraiment de quoi ils parlaient. Or, comme le dit ce proverbe africain que j'ai choisi en épitaphe de mon livre, "tant que les lions n'auront pas leur propre historien, les histoires de chasse tourneront toujours à la gloire du chasseur." Je considérais qu'il était temps que les "lions" deviennent des acteurs de leur destinée, sans intermédiaire associatif ni grand frère !

          Vous évoquez la difficulté, pour les jeunes Noirs de se construire une identité positive et stable. Pourrait-on envisager une culture 'afro-française' ?

          Beaucoup de jeunes Afro-Antillais sont perdus entre la culture de leurs parents et leur nationalité française. Alors, ils se réfugient dans une identité bricolée et souvent une identité américaine, car en Amérique, "black is beautiful". Mais on ne peut pas réduire son identité à une couleur de peau ! Avant de vivre en France, je ne savais même pas que j'étais Noire. Je ne me dis pas non plus que je dois en être fière ou que je dois en avoir honte. En fait, s'il y a une spécificité dont je suis heureuse de me réclamer, c'est mon origine africaine. Mais, contrairement à moi qui y suis née, les jeunes Noirs ne connaissent pas grand-chose de l'Afrique, si ce n'est les drames du continent dont les abreuvent les journaux télévisés. De fait, ils ont du mal à assumer cette part africaine si dévalorisée par les médias. Ou bien, ils veulent racheter la dignité blessée du continent africain et en font trop, notamment en survalorisant leur côté africain.

          Et le lien avec la France ?

          Quant à la question de la nationalité française des jeunes Noirs, je pense qu'elle ne doit pas être niée par eux. Le Français, ce n'est pas que le Blanc. Lorsque j'étais jeune, mes copains et moi avions l'habitude de nous qualifier de Sénégalais, d'Antillais ou d'Algériens. Le 'Céfran', c'était le Blanc. Cette attitude est dévastatrice. Il est vrai aussi qu'à force de montrer du doigt la couleur de peau des jeunes Noirs, la société a fini par leur inoculer l'idée qu'ils ne sont pas Français. Il n'est pas normal qu'un jeune Noir qui se dit Français provoque le scepticisme : il faut s'habituer à l'idée qu'on peut être Noir et Français. Et il ne faut pas en avoir honte. Car haïr sa "francité" revient à haïr une partie de soi ! On est légitime dans ce pays et pas des intrus !

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