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          LE JARGON DU BALLON ROND Ces mots qui rongent le foot

          LE JARGON DU BALLON ROND

          Le 29 juin, l'Euro 2008 livrera son verdict. Inutile de parler des joueurs, tout le monde sait que les Brésiliens vont gagner (1). Jetons plutôt un oeil et une oreille derrière les caméras, du côté des commentateurs…

          Il y a quelques mois, la revue Les Cahiers du foot a édité un petit livre, 'A partir de là…' regroupant la plupart des poncifs du parler foot. Ce qui pourrait n'être qu'un exercice de style amusant révèle en fait l'extrême uniformité du langage des commentateurs. Non seulement il tourne autour des dix mêmes expressions, mais à y voir de plus près, celles-ci ne veulent en général rien dire ! "Vaincre le signe indien", "Etre motivé à 200 %", "Egalité parfaite", "Friser la correctionnelle", "Propulser le cuir dans les filets", etc. Récemment, un commentateur a même parlé des "joueurs ottomans" pour désigner la sélection turque. A ce rythme-là, l'équipe de France deviendra bientôt "l'équipe carolingienne"… Faut-il voir derrière ces expressions faussement littéraires la volonté de rendre le foot intelligent ? Son jargon est en tout cas devenu totalement obscur pour les non-initiés. Petit décryptage de ce que vous avez entendu pendant l'Euro.

          Le foot, une affaire de spécialistes ?

          Cinq des six chaînes hertziennes diffusent des matches de foot. Plusieurs chaînes de la TNT s'y sont mises également, quitte à ne passer que des huitièmes de finale de Coupe du Portugal en différé. Les droits du championnat de France se sont arrachés à 668 millions d'euros. Face à l'obligation de rentabiliser cet investissement, les commentateurs se sont transformés en de véritables VRP, abusant des superlatifs et des formules pompeuses pour vendre leur produit. Un but n'est jamais beau, il est "sublime". Pour attirer l'audience, on habille le foot d'une dimension guerrière ou religieuse ("La lumière est venue de Laurent Blanc", hurlait Thierry Gilardi en 1998 après le but du défenseur français contre le Paraguay), et de relents bêtement patriotes (lors de matches de Coupe d'Europe opposant deux clubs étrangers, on a déjà vu des commentateurs se gargariser du fait que l'arbitre soit français !). L'euphémisme marche aussi très bien : un match sans intérêt deviendra, dans la bouche de tout bon commentateur, "un match tactique avec deux très bonnes défenses". Ou comment prendre le téléspectateur pour un idiot…

          Justement, tel semble être le leitmotiv du journaliste sportif. L'une des émissions phares de Canal + consacrée au ballon rond s'intitule 'Les Spécialistes'. Difficile de faire plus prétentieux… Elle consiste en des analyses prétendument savantes des rencontres de la veille par des anciens joueurs ou des entraîneurs. Le traitement médiatique du foot ne va pas sans consultants. Chaque chaîne veut les siens, des "noms" de préférence (Guy Roux, Zinédine Zidane…). Et qu'importe s'ils peinent à aligner trois mots (Zidane, Deschamps), ils n'ont de toute façon rien à dire (2). L'important est simplement de flatter le public en lui faisant croire que le football ne peut pas être compris par tous, qu'il est un produit de qualité et qu'il justifie son prix. Son plus grand mérite n'est-il pas au contraire d'être populaire ? Combien d'amitiés durables ont démarré par cette phrase : "T'as regardé le match, hier soir ?" Le foot appartient à tout le monde. Hélas, il est désormais aux mains d'une élite de consultants et de journalistes fondus dans le même moule, ceux que Denis Robert surnomme les "costumes-cravates" dans son livre 'Le Milieu du terrain'. Ce formatage a accouché d'un milieu consensuel, complaisant et totalement dénué d'humour.

          Quand le foot fait la morale

          Le milieu du ballon rond est une grande famille baignant dans une totale harmonie. Et le foot, une véritable école de la vie. Jamais un commentateur évoquant la combativité d'un joueur ne pourra s'empêcher de préciser qu'il s'agit d'agressivité "dans le bon sens du terme". Au cas où ses propos soient interprétés comme un appel à l'émeute… Le fair-play, concept noble, sert désormais de prétexte à une orgie de bons sentiments. Certains journalistes ne sont pas loin d'écraser une larme devant un joueur répondant à une interview avec son fils de 3 ans dans les bras, une "belle image" qui mériterait presque un ralenti. Des ralentis qui deviennent par contre de plus en plus rares pour illustrer une action de jeu. Les émissions de foot, esclaves des stars, ont réduit la durée de leurs résumés pour augmenter celle des interviews : on en fait avant le match, sur le banc de touche, après la rencontre, etc. Hélas, celles-ci n'ont la plupart du temps aucun intérêt, le discours des joueurs résumant à lui seul le concept de langue de bois. Logique : aucun joueur n'a intérêt à "balancer" sur ses coéquipiers ou son entraîneur s'il veut disputer la rencontre suivante. Bilan, les médias ne font que grossir du vide, à l'image de ces polémiques stériles sur l'arbitrage qu'ils alimentent pendant plusieurs semaines afin de se donner des airs de contre-pouvoir.

          (1) Evidemment, et à moins d'un bouleversement mondial, le Brésil ne fait pas partie de l'Europe. Le lecteur nous pardonnera cette blague géographique.
          (2) Au-delà du fait qu'il soit accessible à tous, on peut se demander si le foot est analysable. Contrairement à une oeuvre d'art, il n'épouse aucun parti pris, aucune école. Il se regarde, point. Et ce qu'on nomme "analyse" dans le sport ne se résume qu'à des supputations (sur la fatigue d'un athlète, sa motivation, etc.).

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