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          Juliette Binoche : « Dans 'Elles', je ne voulais rien cacher à la caméra »

          Juliette Binoche : « Dans 'Elles', je ne voulais rien cacher à la caméra »

          Dans ‘Elles’, Juliette Binoche incarne une journaliste qui enquête sur la prostitution étudiante, entre rejet et fascination. Pour Evene, elle interprète un autre rôle : celui de rédactrice en chef.

          Elle s’appelle Anne, affiche la quarantaine, bosse comme journaliste dans un magazine féminin et enquête sur la prostitution étudiante, en France aujourd’hui. Son investigation n’est pas que sociologique. A l’écoute des confidences de jeunes femmes ne souffrant apparemment d’aucune culpabilité, Anne s’interroge sur sa propre vie, sur ses frustrations trop longtemps tues, sur ses désirs et fantasmes.
          Impossible de reprocher à Małgorzata Szumowska son absence de prises de risques. Dans Elles, la cinéaste polonaise, non contente d’interroger une certaine réalité de l’époque, bouscule les tabous et met en scène une femme aux prises avec ses contradictions les plus intimes. Pour incarner cette héroïne, la cinéaste devait impérativement trouver une actrice qui accepte de dynamiter les conventions. Elle, c’est Juliette Binoche, sidérante du premier au dernier plan. L’occasion pour l’actrice de confirmer qu’elle n’aime rien tant qu’arpenter encore et toujours des territoires inédits. Rédactrice en chef exceptionnelle d’Evene, elle s’explique sur ses choix radicaux et nous confie ses coups de cœur culturels.

          Quelle a été votre première réaction en découvrant le scénario de Elles ?

          J’avais déjà entendu parler de Małgorzata Szumowska. Deux mois avant de recevoir le scénario, j’avais dîné avec Slawomir Idziak, le chef opérateur de Bleu (Kryztof Kieslowski, 1993, ndlr). Il m’avait dit que Małgorzata était la réalisatrice polonaise actuelle la plus intéressante. Quand j’ai reçu le script, je l’ai donc lu avec une curiosité d’autant plus intense. J’ai tout de suite aimé le choix du sujet et la façon de l’aborder, audacieuse et risquée… Malgoska évoquait les questions de l’intime et du féminin avec une vision personnelle et déroutante.


          Le film traite de la prostitution étudiante, mais aussi du désir féminin et du plaisir sexuel. Des sujets rarement traités dans le cinéma traditionnel. Quel est votre regard sur votre personnage : Anne, cette journaliste qui enquête sur les jeunes femmes faisant commerce de leur corps ?

          Juliette Binoche© Haut et Court, Juliette BinocheAu départ, Anne est mal à l’aise vis-à-vis de ces filles qui ne se posent aucune question morale et elle adopte une certaine distance. Mais peu à peu, leurs confidences bousculent sa propre vie et son intimité de femme. Elle est traversée par des contradictions violentes en replongeant dans les interviews qu’elle a réalisées avec elles. Anne est à la fois profondément choquée par leurs témoignages et, en même temps, envahie par le désir de faire l’amour. À un moment, le désir est trop fort et elle va se caresser dans sa salle de bains après que son fils lui a dit que son chignon était trop serré !

          Vous la redoutiez cette scène ?

          Nous en avons longuement parlé avec Małgorzata… Elle m’a donné un DVD où elle avait enregistré des petits films provenant d’internet où l’on voit des filles se masturber. Certaines se livrent de façon très naturelle. Pour d’autres, c’est visiblement plus compliqué... Les visages passent d'expressions de nouveaux-nés à d'autres états, parfois proches de l’agonie (rires). Pour le tournage de la scène, j’ai demandé à Małgorzata de m’indiquer toutes les étapes de sensations et d’émotions que, selon elle, traversait mon personnage. Il s’agissait de travailler subtilement et de forger une sorte de sculpture face à la caméra.

          Certaines scènes sont très crues, mais le film évite les surenchères graveleuses.

          En effet. Małgorzata traite vraiment son sujet, ne triche pas avec lui et parvient à donner à voir et à ressentir sans pour autant tout montrer. C’était un équilibre très délicat à trouver et je pense qu’elle y est parvenue.

          Le film n’est pas de tout repos pour le spectateur. Il interroge forcément son propre rapport à l’intime.

          Je fais toujours mes choix avec mon intuition. Quand un scénario me touche, attise mon désir, je m’engage pleinement. Je ne suis consciente que de ce point de départ et de la nécessité que j’éprouve. Le reste ne m’appartient pas.

          Anne a une quarantaine d’années et elle dialogue avec de très jeunes filles. L’âge est l’un des autres thèmes du film…

          Juliette Binoche© Haut et Court, Juliette BinocheIl y a une remise en question à tout âge, à tout passage. Anne est prisonnière d’un carcan, d’un contrat de mariage, de ses habitudes. Inévitablement, on ne subit pas les mêmes remises en question à 20, 30 ou 40 ans. Vivre dans le présent une relation d’amour après vingt ans de mariage n’est évident pour personne. Mais je veux bien croire qu'il y ait des exceptions…

          Jouer avec l’âge, cela fait-il peur ?

          Dans Elles, je me suis amusée à faire face à la caméra sans cacher, sans faire d'effort, dans un quotidien presque repoussant. C'était le jeu de départ avec Małgorzata et le chef opérateur… Aussi, nous voulions jouer sur les contrastes. Dans la scène du dîner, mon personnage est plus sophistiquée, plus fabriquée, elle doit faire bonne figure. Alors que dans son intimité, elle traverse une époque morose, sans désir, elle n’y arrive pas trop... Je comprends bien que l'âge fasse peur. La peur de ne plus être aimé est une source d’angoisse et l’on redoute d'être rejeté pour des raisons extérieures. Mais, avec l’âge, on sait aussi que ce qui tient est plus grand et important. Et c'est là que l'on découvre qui on est, ou avec qui on vit… C'est une épreuve qui peut être magnifique. Malheureusement les médias ont tendance à tirer vers le bas, à vous mettre en doute et à vous inciter à "faire ce qu'il faut". C’est une machination sociale et commerciale : il faut bien vendre des produits et des soins. Je suis sûre que certaines femmes sont beaucoup plus heureuses à 40 ans qu’à 20 ans, cela dépend vraiment de ce qu’elles ont vécu avant. Les femmes de 40 ans connaissent mieux leurs émotions, leur corps et peuvent assumer leurs pensées et désirs avec plus d’éclat. Le secret, je crois, est de ne pas tomber dans la routine.

          On dit souvent que le cinéma offre moins de rôles intéressants aux actrices après 40 ans. Qu’en pensez-vous ?

          Ce n'est pas ce que je ressens. C’est une question que l’on pose fréquemment aux actrices, mais si l’on y regarde de près, on s’aperçoit que c’est faux. En France, au cinéma, la femme est la muse et l’inspiration.

          Tourner dans Elles est un choix audacieux. Vous pourriez privilégier des partitions plus consensuelles.

          Juliette Binoche© Haut et Court, Juliette BinocheJ’aime les prises de risque, c'est presque une condition : le nouveau m’intéresse plus que tout. J’aime les endroits dangereux, les précipices possibles car se mêlent alors plus de questions, de doutes. Si je devais me répéter, arpenter des territoires déjà connus, je m’ennuierais. Travailler avec ce qui m’est étranger est une façon de me remettre en cause. Au bout du compte, l'étranger devient un terrain connu.

          Le choix des cinéastes semble toujours essentiel pour vous.

          Ma proximité avec eux m’étonne toujours, quelles que soient nos différences d’âge, de culture, d’éducation, d’histoire personnelle, de langue. Il faut croire que la sensibilité dépasse toutes les frontières, même si je m’entends différemment avec Haneke, Kiarostami, Hou Hiao Hsien, Assayas…

          Ce refus de l’ennui, vous entraine-t-il à refuser beaucoup de propositions ?

          Il m’arrive de dire non, mais j’oublie ce que je refuse, car je suis toujours profondément passionnée par ce que je fais au présent.

          Dans Elles, il y a en filigrane le portrait d’une société où tout s’achète et tout se vend.

          Oui, la prostitution des corps est un possible parmi d’autres dans un monde où le besoin de l’« avoir » et, surtout, la question du « pouvoir avoir » occupent une place démesurée et comblent visiblement une angoisse, un manque… Le monde des images, entre autres celui de la publicité, joue sans cesse sur ces ressorts.

          Vous avez toujours privilégié les aventures singulières, avec des metteurs en scène dotés d’une vraie personnalité. Ces films là sont-ils plus difficiles à monter aujourd’hui qu’hier ?

          Małgorzata Szumowska et Juliette Binoche© Haut et Court, Małgorzata Szumowska et Juliette BinocheHélas, oui. Et je trouve difficile d'accepter que certains films, par exemple ceux de Bruno Dumont ou de Philippe Grandrieux, soient si peu connus. C’est justement cela la diversité du cinéma français, une diversité que le monde entier nous envie. Il est de notre devoir de soutenir ce cinéma-là. L'État le fait, grâce à la commission sur recettes etc, mais les chaînes de télévision trop peu. Mais je ne suis pas pessimiste, je crois en la résistance et je suis persuadée et qu’il y a toujours moyen de faire vivre les films, indépendamment des considérations financières. Pour ma part en tout cas, ce n’est pas l’éventuel succès commercial qui valide mes choix.

          On vous retrouve prochainement dans La vie d’une autre, de Sylvie Testud. Un film qui, à sa manière, évoque lui aussi l’identité. Qu’est-ce qui vous a séduit dans ce projet ?

          J’aimais ce personnage qui se réveille un matin et s’aperçoit qu’elle a oublié quinze ans de sa vie. Le film évoque le rêve déchu, comment, avec le temps, on renie parfois sa personnalité et ses émotions, on bifurque de son rêve de départ… Le film démarre dans la légèreté, mais son sujet est grave. Ce que vit le personnage est un véritable cauchemar, elle est seule dans une prison qui est en train de tomber! Ce mélange de comédie et de panique me plaisait bien.

          On vous annonce dans plusieurs films ces prochains mois, dont le prochain Bruno Dumont ?

          Nous sommes en pleine préparation… Bruno Dumont s’intéresse à trois journées dans la vie Camille Claudel, deux ans après son internement. J’aime travailler avec des cinéastes qui exercent hors des sentiers battus et tournent avec des acteurs non professionnels, comme cela m’est déjà arrivé avec Hou Hsiao Hsien ou Abbas Kiarostami. Je partage avec eux la méfiance pour le jeu, la fabrication, la performance…

          Et Un singe sur l’épaule de Marion Laine ?

          Le film est déjà tourné. Il raconte l’histoire d’un couple de chirurgiens, lui alcoolique et, elle, co-dépendante. Mais je ne peux pas et ne veux pas révéler les enjeux du scénario. Un film, de toute façon, n’est jamais réductible à une histoire. Un film, cela ne se raconte pas…

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