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          LE PARADOXE DU LAPIN Rien ne sert de courir…

          LE PARADOXE DU LAPIN

          Comme chaque année au mois d'avril, le lapin de Pâques est au rendez-vous. Adorable boule de poils aux oreilles dressées, le léporidé cache bien son jeu. Ambivalent à souhait, l'animal se pose en énigme.

          Symbole païen ancestral, le lapin apparaît plusieurs siècles avant notre ère dans le bestiaire culturel occidental. Vif, très bon reproducteur, il incarne la fertilité et la fécondité, pièces essentielles au cycle infini de la création. Messager du printemps, il annonce également le renouveau, la victoire de la vie sur la mort. Nul hasard donc, si l'animal apparaît à la même période de l'année que la fête chrétienne de la Résurrection du Christ… C'est au XVIIIe siècle que la tradition germanique mêle pour la première fois le lapin pascal aux fameux oeufs de Pâques. En apportant les oeufs en chocolat dans les foyers, il met fin au Carême et donne aux enfants les gourmandises tant convoitées pendant les quarante jours de jeûne. Dès lors, les mythes païens et religieux s'unissent dans une joyeuse confusion. Mais l'existence de l'animal ne se limite pas à ce folklore. Lunaire, le lapin, ami des enfants et de l'innocence, peut devenir en quelques bonds l'incarnation de la luxure et de la débauche. Tour à tour animal de compagnie et suppôt lubrique, il sème ses traqueurs dans une course frénétique. Petit tour d'horizon des différentes facettes du lapin…

          Lièvre ou lapin ?

          Le lièvre et le lapin sauvage (c) DR L'animal aux grandes oreilles le sait bien : ''Il est toujours avantageux de porter un titre nobiliaire. Etre ''de quelque chose'', ça pose un homme, comme être ''de Garenne'', ça pose un lapin.'' (1) Ainsi, dans les premiers temps de son existence, le lapin de Pâques était un lièvre. Dans la tradition germanique, on parle d'ailleurs du lièvre pascal, "der Osterhase". Mais rapidement les deux espèces n'ont cessé de se voler la vedette. Le combat est sans merci. Et, si La Fontaine favorise le lièvre puissant et sauvage, que Beatrix Potter choisit de donner vie à un adorable lapin nommé Peter, Lewis Carroll offre un rôle à chacun d'eux. La jeune Alice rencontre ainsi dans son pays merveilleux le Lapin blanc, perpétuellement angoissé par l'heure et le tic-tac du temps qui s'écoule, quand le Lièvre de Mars, lui, passe sa vie à prendre le thé en compagnie du Chapelier. Entre les deux espèces, la course dure toujours, sans vainqueur à l'arrivée.

          Vie ou mort ?

          Illustration d'un lapin dans la lune (c) DR Mais où vont-ils donc ? Dans les prairies et les forêts, ils sortent à la nuit tombée. Appartenant au monde des ombres, les multiples lièvres et lapins gambadent à la clarté de la lune. Parfois, cette dernière devient elle-même un lièvre, comme dans certaines mythologies européennes, asiatiques ou africaines où son croissant se confond avec l'animal. Et quand la lune est ronde, ses cratères deviennent autant de lapins courant sur son ventre ''J'ai vu dans la lune / Trois petits lapins / Qui mangeaient des prunes / En buvant du vin / Tout plein'', fredonne encore la comptine. Dès lors, l'animal et l'astre ont tôt fait de se voir considérés comme deux amants, soucieux du renouvellement perpétuel de la vie. (2)

          Innocence ou Luxure ?

          Mais cette prolifération permanente possède un second visage, plus sombre. Si l'animal est un symbole de régénération, il est aussi celui de la démesure échouée dans la luxure. Le christianisme s'empare de la puissance de fécondité de l'animal pour la transformer en lubricité païenne. Dès lors, l'innocence du lapin blanc se couvre d'un voile de débauche. La figure de l'animal est récupérée et modifiée, à l'image de la marque Playboy et de son logo : célèbre profil de lapin à noeud papillon. De leur côté, les expressions familières du vocabulaire usent et abusent de cette symbolique. Ainsi le "chaud lapin" court facilement "deux lièvres" à la fois… Face à ce libertinage, l'innocence du gentil lapin tente de survivre. Depuis la Renaissance, les illustrations et autres tableaux essaient de le réhabiliter. Au milieu des fleurs, l'image d'Epinal le fait bondir dans des prés figurant le Paradis.

          Porte-bonheur ou malheur ?

          Patte de lapin sculptée (c) Sobebunny - DR Les hommes croient pourtant aux bontés du gibier. S'ils le mangent en civet à la moutarde ou le chassent à courre, c'est également pour récupérer un précieux talisman. Car la patte du lapin est un véritable porte-bonheur. Accrochée aux portes des maisons, elle tient à distance les esprits maléfiques. Certains pourtant restent sceptiques : ''Si une patte de lapin porte bonheur, qu'a-t-il bien pu arriver au lapin ?'' (3) Qu'on ne s'inquiète pas pour lui. Il est un compagnon d'Hécate, ''déesse des spectres et des terreurs nocturnes… des fantômes et des monstres terrifiants… elle est la magicienne par excellence''. (4) La sorcellerie n'est pas loin, qui hante les esprits superstitieux. Dès lors, le lapin retourne encore une fois sa veste dans les croyances populaires. Aussi, ne l'embarquez pas sur un navire, il y porte malheur.

          Ambigus, le lapin et son cousin le lièvre, figures sympathiques ou machiavéliques du bestiaire mythologique, jouent à cache-cache avec les hommes. Mais qu'en pensent-ils eux-mêmes ? Un illustre lapin apporta sa réponse en 1976. A toutes les questions posées, à toutes les conclusions évoquées, Lapin Tur alla se pendre au salon. (5) Depuis, la question n'est plus vraiment d'interroger la moralité et la vertu de Lapin Tur et de tous ses congénères, mais bien de savoir s'ils seraient mieux dans l'entrée ou la salle à manger…

          (1) Alphonse Allais, Le Chat Noir, 25 janvier 1890.
          (2) Jean Chevalier et Alain Gheerbrant,
          'Dictionnaire des symboles', éditions Robert Laffont-Jupiter, 1969.
          (3) Jean-Loup Chiflet,
          'Réflexions faites', éditions Mango, 2003.
          (4) Jean Chevalier et Alain Gheerbrant,
          'Dictionnaire des symboles', éditions Robert Laffont-Jupiter, 1969.
          (5) Calembour célèbre de Niele Toroni dans son
          'Histoire de Lapin Tur', éditions Allia, 2010.

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