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          LEGO CONTRE PLAYMOBIL En avant la bagarre !

          LEGO CONTRE PLAYMOBIL

          Les Playmobil soufflent leurs 35 bougies. Et c'est le musée des Arts décoratifs qui organise la fête, en rendant hommage aux coupes au bol et aux cow-boys jusqu'au 9 mai 2010. 35 ans d'histoire(s !), de succès : une bringue. Et pas un seul Lego d'invité… C'est que l'anniversaire de la figurine allemande reste aussi celui, moins ragoûtant, de sa concurrence acharnée contre le petit Danois aux allures de brique. L'occasion de revenir sur l'une des plus grandes rivalités de l'industrie du jouet.

          "Dis, t'es plutôt Lego ou plutôt Playmobil ?" Trente-cinq ans qu'est rabâchée la même question existentielle, comme si, d'une manière ou d'une autre, l'équilibre de l'univers en dépendait. Trente-cinq ans que la réponse crée des tensions et institue des clans. Le Bloc Playmobil et le Bloc Lego ont tout de cette ère bipolaire où le monde fonctionnait systématiquement par deux. De ce temps où l'on était soit des nôtres, soit des leurs ; de cette époque qui poussait son dernier soupir au milieu des années 1990, alors qu'il fallait encore choisir entre Sega et Nintendo, Michael Jordan et Magic Johnson, Arnold Schwarzenegger et Sylvester StalloneNi l'écroulement des grandes rivalités du siècle dernier, ni le développement des moeurs, des modes et des technologies n'ont épuisé le succès et l'immuable dualité des deux géants européens du jouet. Deux jeux sans règles, aux possibilités infinies de créativité. Deux modèles de divertissement pour enfants, bâtis sur une accablante simplicité. Construire pour se construire, envers et contre tout. S'imaginer des mondes pour mieux vivre la vraie vie. Les principes sont les mêmes. Et pourtant l'état d'esprit est resté remarquablement différent. Lego contre Playmobil - ou comment quelques milliards de bonshommes en plastique ont grandi côte à côte, tout en étant si semblables et si distincts, si longtemps.

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          Alter-(l)egos

          (c) DRPublicité des années 1980 pour Lego, (c) DRC'est en pleine crise pétrolière que naît Playmobil. Hans Beck imagine la figurine de 7.5 cm de haut en 1970 afin de limiter les dépenses de la société allemande de jouets Geobra-Brandstätter. Quatre ans plus tard, alors que Playmobil fait son premier pas sur le marché - tant bien que mal, les jambes tendues - Lego a déjà plus de quarante ans. Mais Legoland n'est pas encore tout à fait au complet. Le géant danois du jouet, après d'humbles débuts dans un atelier de charpente, s'est dédié jusque-là à la construction. Ce n'est que bien après l'apparition, en 1958, de ses célèbres parpaings emboîtables en plastique, qu'il songe enfin à fonder la "famille Lego". Les figurines originelles à la tête jaune et ronde finissent par débarquer en 1974. Soit la même année que les petits Allemands à la coupe au bol. Drôle de coïncidence…

          Ni petits soldats de plomb, ni poupées de chiffon, Playmobil et Lego révolutionnent immédiatement l'univers du jouet avec leur plastique flambant neuf et leur forme humaine ultra-simplifiée. "Les personnages sont inventés de manière à offrir des possibilités infinies d'histoires. Leurs traits sont neutres pour permettre aux enfants d'imaginer le caractère et l'humeur de chaque personnage" explique Hans Beck. "L'imagination avant tout" : un concept qui rejoint de près "l'idéologie" Lego, dont le nom provient du danois "leg godt" ou "bien jouer". Qu'importe, derrière les slogans louables et les sourires figés, en coulisses les deux concurrents ne se privent pas de vilains jeux. Vikings, pirates, Far West… Au fil des années 1980 et 1990, les modèles thématiques finissent par se singer. On prêche l'inventivité des enfants, tout en faisant parfois preuve d'un vulgaire manque d'originalité. On ouvre ses parcs d'attractions respectifs, tout en se riant au nez (si seulement on en avait un). Bref, on triche. Plutôt moche pour des petits "smileys".

          Les Lego naissent dans les briques, les Playmobil dans les mains

          (c) DRLego Star Wars, (c) DRMais malgré la compétition acharnée, Lego et Playmobil ne sont pas près d'oublier leurs différences fondamentales. Après tout, l'un est né dans les briques alors que l'autre s'est construit à partir d'une figurine faite pour tenir dans une main d'enfant. Plus malléables, les pièces interchangeables de Lego permettent aux joueurs de bâtir une infinité d'univers à partir de rien. Davantage dérivé des jeux traditionnels de figurines et de poupées, davantage réaliste, plus statique, Playmobil impose au contraire des décors simples, inspirés du concret, comme autant de points de départ pour transcender le réel.

          Leurs thèmes et leur allure ont beau se faire écho, Lego et Playmobil se vivent et se jouent donc de manière profondément distincte. Des divergences qui, depuis les années 2000, se sont accentuées. Etonnamment peut-être, les sujets historiques et les saynètes de vie quotidienne de Playmobil font preuve de plus d'intemporalité. Les grands classiques de la ferme, du cirque, des Egyptiens et de la police continuent de se vendre comme des petits pains, tandis que ses recettes haletantes de début de siècle contraignent Lego à changer de stratégie. Après les jeux vidéo et les courts métrages animés, le fabricant danois se tourne vers Hollywood. En 1999, la série 'Star Wars' est lancée, initiant un flirt dangereux avec le cinéma.

          Le flirt prend vite des tournures de mariage de convenance avec l'arrivée d'un nouveau gérant en 2004. Suite à un déficit de 344 millions de dollars cette année-là, Lego se met définitivement à prendre des risques. Quitte à se mettre à imaginer à la place des enfants. Avec les séries 'Batman', 'Indiana Jones' et 'Toy Story', le joueur peut enfin s'approprier et recréer l'univers de ses héros. L'expression des figurines s'affranchit de sa neutralité ; les petits yeux s'écarquillent, les bouches se mettent à grimacer. Le plaisir des fans est immédiat, la montée des ventes également. Mais quid des principes d'origine ? Des promesses, qu'"avec Lego on construit tout, surtout sa fierté" ? Rien n'empêche de mettre Dark Vador à la cuisine en attendant que Luke Skywalker rentre de la chasse avec Batman et les pirates. Soit. Mais le psychologue américain Jonathan Sinowitz n'a pas tort de craindre le pire. "Les Lego perdent ce qui les rend si exceptionnels, explique-t-il. Quand les enfants se mettent à jouer à Indiana Jones, ce qu'ils rejouent c'est l'imagination d'Hollywood, pas la leur." (1)

          (1) The New York Times, 5 septembre 2009.

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