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          LIBERTE DE TON ET MEDIAS Ca se gâte !

          LIBERTE DE TON ET MEDIAS

          Alors que les émissions ‘Arrêt sur images’ et ‘La Bande à Bonnaud’ viennent d’être supprimées, de nombreuses interrogations planent autour de la prétendue indépendance des journalistes. Quelles sont les vraies raisons de ces suspensions ? Peut-on encore aujourd’hui avoir une liberté de ton dans les médias français ?

          L’épisode a tenu en haleine plus d’un mois les fans de l’émission qui décrypte la télévision. A grands coups de posts sur son ‘Big bang blog’, Daniel Schneidermann a tenu à partager ses angoisses : ‘Arrêt sur images’ a-t-elle vécu sa treizième et dernière saison ? Silence inquiétant à la direction de France 5. Au soir du vendredi 8 juin, jour de l’enregistrement de la dernière de l’année, le présentateur-vedette ne sait toujours pas si son “au revoir” n’est pas un “adieu”. Le 18 juin, la sentence tombe. Au même moment, à France Inter, l’équipe de Frédéric Bonnaud subit la même destinée. Une grève de la CGT et Sud n’y changera rien. Son programme n’est pas reconduit.

          Le sort réservé à ces deux émissions ne manque pas de faire parler. Et pour cause : toutes deux offraient une totale liberté de ton aux journalistes. A l’heure où certains membres de l’opposition s’inquiètent de la liberté de la presse en France, ce nouvel épisode alimente une polémique déjà bien entamée dans l’entre-deux-tours de la présidentielle, quand aucune chaîne du service public n’avait voulu organiser le débat entre Ségolène Royal et François Bayrou - c’est finalement BFMTv qui assurera la diffusion.

          Entre ‘Les Grosses Têtes’ et ‘Le Masque et la plume’

          Pour répondre à ces attaques, les dirigeants de France 5 et France Inter ont évoqué un seul et même argument, celui que l’on ne discute pas à la télévision : l’audience. L’une se tassait, quand l’autre ne parvenait pas à faire face à la déferlante Ruquier. Pour autant, l’argument de l’audimat ne tient pas la route. “Depuis l’arrivée et la spectaculaire montée en puissance de la TNT, c’est toute l’audience des chaînes généralistes qui fléchit, et celle de France Télévisions comme les autres” (1), rappelle Daniel Schneidermann. En outre, l’animateur martèle que les chiffres avancés ne tiennent pas compte des nombreux internautes qui regardaient l’émission sur le site de France 5, faute d’avoir pu voir l’unique diffusion dont elle bénéficiait le dimanche midi. (2) Par ailleurs, n’est-ce pas la mission du service public que d’offrir un ton différent en dépit de l’audimat ? Il semblerait que ce ne soit plus le cas puisque Frédéric Schlesinger, président de France Inter, aurait proposé au début de l’année 2007 un compromis à Frédéric Bonnaud : faire de son émission un amalgame entre ‘Les Grosses Têtes’ et ‘Le Masque et la plume’… Nul doute que les amateurs de ‘La Bande à Bonnaud’ auraient apprécié les bonnes blagues lubriques d’un Guy Montagné au milieu d’un débat sur la dernière rentrée littéraire.

          L’impertinence ne paye plus

          En vérité, le problème est ailleurs, et les longs silences et autres tergiversations qui ont précédé les décisions le montrent clairement. “Les raisons officielles changent tout le temps : audience insuffisante, trop caractériel… En réalité, je suis viré parce que France Inter change, et que j'ai voulu continuer à faire une émission culturellement balèze et politiquement impertinente. Je suis viré pour refus d'obtempérer” (3), fulmine Bonnaud. La culture et l’impertinence deviennent donc les ennemis numéro un des médias français. Nous reviennent en tête les notes teintées d’amertume lancées à la volée par Karl Zéro sur son blog en 2006, juste après l’arrêt de son émission : “C’est l’avènement du politiquement correct, c’est écoeurant.” Et finalement, le plus grave reste encore que ce musellement de la parole journalistique soit appliqué jusque dans le service public.

          Une impression de déjà-vu

          Le phénomène n’est pas pour autant nouveau : Karl Zéro et son ‘Vrai Journal’ avaient disparu dans le même climat de suspicion en 2006 et pour remonter encore plus loin, la première émission littéraire du PAF, ‘Post-Scriptum’, animée par Michel Polac avait dû s’arrêter après un débat jugé indécent sur l’inceste, et ce malgré une pétition de deux mille signatures d’intellectuels et d’écrivains. Malgré tout, la tendance est très largement accentuée au point que ce sont même près de 178.000 signatures contre la suppression d’‘Arrêt sur images’ qui sont, aujourd’hui, complètement dédaignées. Leur avis n’a aucune importance. Le politiquement incorrect cède progressivement sa place à une information et des programmes calibrés sur mesure. Les invités politiques doivent à présent connaître les questions, choisir ou interdire les thèmes, décider du cadrage. Pour la caution éthique, l’on se paye les services d’un spécialiste qui à travers deux ou trois questions bien huilées fabrique une insolence en toc. Le présentateur feint d’être gêné, l’invité sourit, le spectateur est aux anges. Le destin est taquin puisqu’au même moment le pays où le calibrage de l’information est roi connaissait un cafouillage des plus stupéfiants : Mika Brzezinski, présentatrice du journal matinal de la MSNBC, a refusé en direct d’ouvrir son journal sur la sortie de prison de l’inutile Paris Hilton, contre l’avis de sa rédaction, offrant les dépêches d’agence relatant ce non-événement à la broyeuse à papiers… Il n’est pas sûr que son minois siège à la même place à la rentrée. Faut-il y voir le début d’une saine rébellion ? Le renversement de situation serait pour le moins cocasse à l’heure où la France fait le chemin inverse.

          Ego et vengeance personnelle

          Mais au-delà de cette liberté de ton, ne faut-il pas voir dans ces affaires un problème de “liberté de personnalité” ? Quand la direction de France Inter évoque une personnalité “caractérielle” au sujet de Bonnaud, ou quand on demande à Ardisson s’il regrettera l’émission ‘Arrêt sur images’ et qu’il répond avec cynisme “l’émission oui, lui, non” (4), il n’est pas sûr que les émissions seules constituent le poil à gratter des rédactions… D’ailleurs, certains syndicats, comme la CFDT, se sont désolidarisés du présentateur d’‘Arrêt sur images’ avec des propos assez durs : “Daniel Schneidermann n'est victime d'aucune chasse aux sorcières. Il a pratiqué en personne le licenciement brutal au sein de son équipe. Grand donneur de leçons audiovisuelles, il a également pratiqué l'hypocrisie consistant à multiplier les collaborations auprès de plusieurs médias pour aboutir au mélange des genres et à la confusion d'intérêts.” (5) D’ailleurs, si le problème n’était que la liberté de ton, pourquoi France Inter et France 5 ont-elles décidé de licencier les trublions ? Ce climat d’ego et de vengeance personnelle n’est pas sans fondement. Le rapport conflictuel entre Patrick de Carolis et Daniel Schneidermann est un secret de polichinelle depuis que ce dernier a décrypté le bidonnage de l’ancien présentateur de ‘La Marche du siècle’ dans ‘Arrêt sur images’. Tout le monde sait que les dés sont pipés depuis que la même émission avait annoncé qu’elle serait vigilante sur le professionnalisme de Béatrice Schönberg, maintenant qu’elle avait épousé un ministre du gouvernement, ce qui n’avait pas été du goût d’Arlette Chabot, la Madame de fer de l’information sur France 2. Enfin, la remarque désabusée de Frédéric Bonnaud au sujet de celui qui le remplacera montre que l’ambiance n’est pas au beau fixe dans les couloirs du service public : “Calvi est en course parce que c'est un sarkozyste assez naturel.” (6)

          L’exception des Guignols

          Alors pourquoi ne pas avoir licencié les “perturbateurs” et continué les émissions ? Simplement parce que ces fameux agitateurs sont avant tout les artisans de ce souffle de liberté. ‘Arrêt sur images’ ou ‘La Bande à Bonnaud’ n’auraient certainement pas eu l’impertinence et la qualité d’analyse que tous leur reconnaissent sans leur figure de proue. Certes, leur personnalité dérange, mais il ne faudrait pas faire des “bons” caractères un gage de qualité. Ce qui doit primer avant tout, c’est l’offre proposée au service public qui doit davantage tenir compte du contenu plutôt que de compter inlassablement la distance qui les sépare du trottoir d’en face.

          Finalement une seule question reste sur toutes les lèvres : pourquoi ‘Les Guignols’ restent-ils en place ? Pourtant leur impertinence a très largement été connue, appréciée et abhorrée de tous. Pourtant Bruno Gaccio n’est pas reconnu comme étant une personnalité facile à gérer. Pourtant ‘Les Guignols de l’info’ approchent de leur vingtième anniversaire. Alors pourquoi ? Sans doute parce que ‘Les Guignols’ sont diffusés sur Canal +. C’est donc chez les puissants concurrents du privé que se trouve la liberté de ton : n’est-ce pas là un tournant historique... ou plutôt ironique ? Le service public ne serait plus qu’une chambre de validation de la pensée dominante, celle à laquelle chacun se doit d’adhérer. La démocratie a décidément du plomb dans l’aile. D’autant qu’une position aussi libre soit-elle dans le privé reste sous la menace des influents publicitaires, toujours soucieux de leur image. Le tragique destin de ‘Culture pub’ est là pour le rappeler. Oppression politique ou économique : terrible dilemme dans lequel se noie immanquablement l’éthique. La seule bouée de sauvetage se trouve sans doute sur la toile. Daniel Schneidermann confiait récemment sur son blog le conseil qu’il avait reçu de la bouche d’un certain François Bayrou : “Si vous créez votre site, vous allez être obligés d’inventer des choses pour le meubler. Sinon, c’est vous qui serez un meuble chez les autres.” L’ancien animateur veut y croire. Nous aussi.

          (1) www.bigbanblog.com, post du dimanche 17 juin 2007.
          (2) En 2005, l’émission était diffusée également le samedi à 21h30, uniquement sur le câble. mais France 5 décide deux mois plus tard d’arrêter le principe sans donner plus d’explications. Par ailleurs depuis septembre 2006, la chaîne refuse de laisser l’émission sans montage sur son site, évoquant des problèmes relatifs au droit de la parole, malgré les autorisations des personnes sur le plateau...
          (3)
          www.nouvelobs.com, article du mardi 26 juin 2007.
          (4)
          www.jdd.fr, le mardi 26 juin 2007.
          (5)
          www.imedias.biz/television/actualite-la-cfdt-regrette-la-fin-de-arret-sur-images-mais-pas-le-depa-11823.php
          (6)
          www.jdd.fr, le mardi 26 juin 2007.

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