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          INTERVIEW DE ROBERT MENARD Liberté de ton

          INTERVIEW DE ROBERT MENARD

          Après 23 ans passés à la tête de l'association Reporters sans frontières (RSF), Robert Ménard a quitté ses fonctions il y a quelques mois. L'occasion de faire un retour en arrière pour discuter des décisions prises par RSF durant ce quart de siècle, de l'évolution de la liberté de la presse, de l'état des médias en France ou encore de l'engagement lors des Jeux olympiques de Pékin.

          Ambigu, polémique, Robert Ménard fait partie de ces personnages admirés par les uns, honni par les autres. Il est vrai que l'homme est sujet à controverses. Symbole de la lutte pour la liberté de la presse, il exige de relire le texte de son interview avant parution, multiplie les apartés en off et appelle les journalistes pour les sermonner lorsqu'ils publient des erreurs sur son compte. Surmédiatisé, il se fiche des critiques. L'important, pour lui, semble être de défendre une cause à laquelle il croit. Aujourd'hui, il s'en va : "Il faut laisser la place à d'autres." Certains diront qu'il s'agit plutôt de la conséquence d'une campagne sur les J.O. sujette à discordes au sein même de RSF. Polémique toujours de par son engagement au sein du centre de Doha (capitale du Qatar) pour la liberté d'information. Robert Ménard en assure la direction depuis mars 2008. Un pays peu respectueux des droits de l'homme pour y baser le siège d'une ONG, mais librement critiquable. Il accepte cette responsabilité à cette condition et parce que "pour la première fois le discours des droits de l'homme est porté par une association à vocation internationale hors d'Occident." Robert Ménard veut aussi consacrer plus de temps au magazine de réflexion sur la presse, Médias, et a lancé une maison d'édition de livres de débats. Il envisage par ailleurs de s'investir dans des projets liés au développement de l'Afrique.

          Avez-vous l'impression que la liberté de la presse ait progressé depuis la création de RSF ?

          Oui et non. Il y a 25 ans, il y avait des régimes de parti unique dans à peu près toute l'Afrique, des dictatures dans la moitié des pays d'Amérique latine et dans tous les Etats communistes. Dans l'absolu, il y a beaucoup plus de pays où les journalistes sont assez libres aujourd'hui. Mais ça s'est accompagné d'une plus grande violence faite à la presse. D'une part, comme il y a plus de liberté, il y a plus de journalistes à réprimer : dans un pays où toute la presse est tenue, vous n'avez aucune raison de mettre un journaliste en prison. Paradoxalement, le nombre d'arrestations, c'est aussi le signe de journalistes remuants, qui essaient de faire leur travail et c'est plutôt positif. D'autre part, il y a désormais une violence qui n'est pas le fait des Etats mais de réseaux mafieux, de politiciens véreux, d'intégristes religieux ou d'indépendantistes de tout poil.

          Il y a toujours eu des indépendantistes ou des réseaux mafieux. En quoi cette violence envers la presse est-elle nouvelle ?

          Quand les associations des droits de l'homme ont été créées dans les années 1960, ça n'existait pas. Les mouvements de libération nationale accueillaient à bras ouverts la presse parce qu'ils en avaient besoin pour se faire connaître. Aujourd'hui les intégristes islamistes se fichent de ce que pensent les journalistes. Ils ne sont pas dans une position de séduction par rapport à la presse. En cinq ans de guerre en Irak, on a tué trois fois plus de journalistes qu'en vingt ans de guerre au Vietnam.

          La rareté des titres de presse de qualité est-elle, selon vous, la conséquence d'impératifs économiques ou le fruit d'une paresse journalistique ?

          Je crois qu'il y a les deux. Les Unes des hebdomadaires sont inintéressantes (immobilier ou salaire des cadres), non pas parce qu'ils se fichent de ce qu'il se passe dans le monde, mais parce que c'est ce qui leur permet de parler d'autre chose. Si, en France, on vend plus de presse de caniveau que de presse sérieuse, c'est la faute du grand public. Comme nous tous, il est plus attiré par les variétés. Les journaux TV perdent plusieurs centaines de milliers de spectateurs quand ils traitent un sujet international. Les gens ont une presse qui leur ressemble. Cela crée un cercle vicieux qui justifie une paresse journalistique. Le problème de la presse n'est pas seulement l'argent, mais aussi sa qualité. Peut-être que si la presse était meilleure, on en achèterait plus, comme pour n'importe quel produit. Est-ce que le vrai problème n'est pas qu'un Français sur deux ne nous fait pas confiance ? Il faudrait certainement se poser des questions et inventer de nouvelles façons de traiter les sujets pour intéresser les gens.

          Au-delà de la lutte pour la liberté de la presse, Reporters sans frontières s'était doté à sa création d'une mission de réflexion sur les médias. Pourquoi avoir abandonné cette dernière ?

          La violence est sans commune mesure en Birmanie et en France. Quand Nicolas Sarkozy fait renvoyer Alain Genestar de Paris Match, c'est un vrai problème mais qui reste marginal. RSF est une petite organisation qui a des priorités. Nous avons créé le journal Médias il y a quatre ans pour qu'il y ait un lieu de réflexion sur le fonctionnement de la presse. Cela nous semble une réponse appropriée à ces problèmes là. On se concentre sur les choses les plus graves. En France, il ne s'agit pas de liberté de la presse, mais d'un problème de pluralisme et de qualité de l'information. Cela ne veut pas dire que ce n'est pas grave. Paradoxalement, aujourd'hui, la concurrence entre médias est tellement effrénée qu'elle ne produit plus de la diversité mais une homogénéité de l'information. Je ne pense pas que l'on soit mieux informés lorsque tout le monde finit par faire la même chose.

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