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          L'HUMANITAIRE EN QUESTION 2/3 Pourquoi est-il important de donner ?

          L'HUMANITAIRE EN QUESTION 2/3

          Non au don désintéressé !

          Un don "pur", qui n'attendrait aucun retour, peut d'ailleurs difficilement être considéré comme moral puisque la libéralité se révèle bénéfique dans une logique de "donner, recevoir, rendre". "Le don pur n'est pas un modèle de don complet, car c'est un don solitaire (...) Il signifie au receveur qu'il n'a rien à donner et donc que, à la limite, il n'est rien." (6) Jacques T. Godbout rappelle d'ailleurs judicieusement que le mot "merci" résulte de l'élision de l'expression "Je suis à ta merci". Pour le receveur, un don qu'il ne pourra rendre est donc un cadeau partiellement empoisonné puisqu'il souligne son incapacité à s'inscrire dans la société en rendant. Est-il pour autant impossible de faire un don réellement bénéfique à quelqu'un qui, semble-t-il, ne pourra rien donner en retour ? Sénèque suggérait de déposer le don sous l'oreiller du receveur pendant son sommeil. "Sous son chevet, à son insu, Arcésilas glissa un petit sac afin que cet homme (…) pût trouver - et non recevoir - ce dont il avait besoin." (7) Le fait de ne pas avoir de rapport frontal avec le donateur limite le caractère avilissant du don pour le receveur. En collectant les fonds des particuliers et en servant d'intermédiaire, les ONG jouent donc un rôle essentiel au bien-être des personnes "dans le besoin".

          De l'esprit du don

          Les dons de la main à la main ne sont pas pour autant à exclure. Comme le soulignent les sociologues Pierpaolo Donati et Jacques T. Godbout, la difficulté ne réside pas dans le caractère matériellement unilatéral du don : "La source du problème est dans la volonté du donneur de ne rien recevoir plutôt que dans le fait de ne rien recevoir." (8) L'esprit dans lequel le don est effectué se révèle essentiel. Echanger quelques mots avec un SDF, le saluer lorsqu'on lui donne quelques pièces, ou le faire sans lui accorder un regard change totalement la nature du don. Selon son attitude, le donateur peut rappeler à la personne dans le besoin qu'elle est une composante à part entière de la société, et donc qu'elle pourra rendre d'une façon ou d'une autre ce qu'elle a reçu. On peut aussi considérer que donner à quelqu'un dans le besoin est une manière de rétablir une justice sociale défaillante. L'abbé Pierre affirmait ainsi qu'Emmaüs n'était pas une oeuvre de charité : "C'est une question de justice… et nous sommes des lâches si nous en faisons une question de bienfaisance." (9) L'effet pervers du don "unilatéral" est annulé puisque la personne aidée reçoit ce qui lui est dû.

          Expérimenter le don, c'est s'inscrire dans une expérience résolument anti-individualiste. C'est s'opposer à la vision dominante d'un individu autosuffisant qui ne doit rien à personne. Donner à un proche, comme à un SDF ou à une ONG, c'est "réaffirmer la valeur de toutes les existences, même des plus brisées et redire l'attachement de tous à la vie de chacun". (10) Donner traduit une volonté de partager un monde commun, de quitter son provincialisme pour reconnaître, à travers les autres, l'universalité de son humanité. Faire un don, c'est rappeler qu'une société n'est pas simplement l'accumulation d'intérêts individuels. Donner se révèle finalement, peut-être, le fondement moral de toute société.

          (6) Jacques T. Godbout, Ibid.
          (7) Sénèque,
          'Des bienfaits', Paris, Arléa, 2005.
          (8) Jacques T. Godbout, Ibid.
          (9) L'abbé Pierre in B. Eme,
          'L'Institution communautaire : de la réhabilitation à la réinsertion ? Analyse socio-institutionnelle de l'Union centrale des communautés Emmaüs', Paris, CRIDA-LSCI, 1992.
          (10) Nathalie Rigaux,
          'Le Sens politique du volontariat', Revue du MAUSS permanente, avril 2008.

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