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          INTERVIEW DU CVUH Mémoire à la carte

          INTERVIEW DU CVUH

          En quoi l'histoire-géographie constitue-t-elle un enseignement majeur pour l'éveil à la citoyenneté ?

          On ne peut pas saisir pleinement les enjeux du présent sans une analyse critique et distanciée du passé. De la même façon, on ne peut pas comprendre l'espace dans le contexte de la mondialisation sans avoir une analyse de la construction de cet espace. En supprimant l'histoire-géographie du tronc commun, on risque de fragiliser les futurs citoyens dans le sens où ils seront d'autant moins en mesure d'analyser leur environnement et leur passé, moins libres de leurs propres choix. Ce n'est pas en rendant optionnels les instruments de compréhension d'un monde toujours plus complexe que l'on va favoriser l'autonomie des citoyens. La réforme risquerait de creuser le fossé entre les enfants issus des classes favorisées qui auront l'opportunité de faire de l'histoire-géographie, et les autres qui seront condamnés à apprendre le minimum. Le risque est de réduire encore l'autonomie de pensée des citoyens auxquels nous n'aurons pas donné les moyens de comprendre les enjeux de la société et les conflits qui la traversent.

          L'injonction du devoir de mémoire fait-elle partie des prérogatives de l'Etat ?

          Il est tout à fait normal qu'à titre individuel ou collectif, des citoyens ou des associations éprouvent cette nécessité d'un "devoir de mémoire". Que l'Etat, de son côté, décide de commémorer tel ou tel événement lui appartient également. Mais quelle doit être la position des chercheurs et des enseignants ? Leur rôle est d'analyser pourquoi et comment a émergé cette formulation du devoir de mémoire, et comment on peut passer de cette exigence sociale à un travail d'enseignement et de recherche. En bref, passer du devoir de mémoire au travail de mémoire et à l'histoire, en allant au-delà de la seule émotion. La Shoah est une question abordée dans les programmes d'histoire en primaire, comme en collège et au lycée. L'enseignement de "la mémoire de la Seconde Guerre mondiale" figure au programme de terminale des filières littéraires et économiques et sociales. Mais lorsque Nicolas Sarkozy demande que chaque élève de CM2 se voie obligatoirement confier la mémoire d'un enfant victime de la Shoah, il en fait un devoir d'émotion personnelle imposé aux enfants, sans réfléchir à la façon dont un enfant peut élaborer un lien personnel avec la mémoire des autres.

          Comment interprétez-vous la récurrence des références aux héros de l'histoire de France dans la rhétorique du président de la République ?

          L'usage public de l'histoire a toujours constitué un outil de rhétorique majeur de la classe politique, toutes tendances confondues. Mais, lors de la campagne présidentielle, l'usage du passé par Nicolas Sarkozy était tel qu'il produisait un effet de brouillage didactique et idéologique. Comme le montre Christian Salmon, dans son ouvrage 'Storytelling', raconter des histoires édifiantes, sans les contextualiser, a pour but de créer de l'émotion afin de susciter une adhésion politique immédiate. On pourrait parler de "marketing politique". C'est sans doute ce que cherchait Nicolas Sarkozy, en faisant écrire ses discours par Henri Guaino. (1) Notre rôle, en écrivant le livre collectif 'Comment Nicolas Sarkozy écrit l'histoire de France', a été de démonter cet usage apparemment contradictoire des grandes figures historiques.

          Considérez-vous que l'Etat et l'histoire doivent demeurer deux univers distincts ?

          Plusieurs historiens considèrent que l'Etat n'a pas à intervenir. Qu'il en va de la liberté des chercheurs. Il y a un débat autour de ce que l'on appelle les "lois mémorielles" comme cette loi sur la colonisation, la loi Taubira sur l'esclavage, ou encore la loi Gayssot condamnant la négation du génocide… Pour le CVUH, il n'est pas anormal qu'un gouvernement ou une assemblée ait son mot à dire en la matière. Mais la question est de savoir de quelle nature est cette intervention : empêcher les abus ou les oublis de mémoire par la loi, ou définir un contenu, autrement dit une "vérité officielle" sur le passé ?

          Comment analysez-vous l'injonction de lecture de Nicolas Sarkozy de la lettre de Guy Môquet dans tous les lycées de France ?

          Il n'y a rien à objecter au fait que l'on demande aux enseignants de célébrer tel anniversaire ou tel personnage historique. En revanche, les conditions dans lesquelles Nicolas Sarkozy voulait célébrer la mémoire du jeune résistant ne permettait pas de comprendre qui était Guy Môquet, les raisons pour lesquelles il a été arrêté, ni la portée de son acte. Se contenter de faire lire cette lettre sans la replacer dans son contexte historique, c'est lui faire perdre tout son sens, au seul profit d'une émotion de commande.

          (1) Henri Guaino est notamment auteur des discours prononcés à Périgueux et à Agen, avec les évocations de Hugo, Jaurès, Blum et Guy Môquet ou encore le discours très contesté de Dakar, le 26 juillet 2007.

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